Après les récentes évolutions de la crise avec les attaques terroristes et jihadistes dans certaines localités du Mali, les combats dans la région de Kidal, nous nous sommes entretenus avec André Bourgeot, anthropologue, directeur de recherche émérite au CNRS. Il a décortiqué la situation actuelle comme un mirage de la paix au Mali.
Le Reporter : Le 20 juin 2015, la majorité des Maliens a nourri beaucoup d’espoir quand les derniers groupes ont signé l’accord pour la paix. Un Comité de suivi a été créé pour veiller à son application. Deux mois plus tard, où en sommes-nous.
André Bourgeot : Les récents et douloureux événements condamnables perpétrés par les groupes armés narco-jihadistes, ceux signataires de l’accord dit d’Alger, et les difficultés en matière de représentativité politique équitable et inclusive au sein de ce Comité de suivi, sont révélateurs de lourdes menaces qui pèsent sur les conditions de son application. Si l’histoire, dit-on, ne se répète pas, les événements guerriers et terroristes qui font l’actualité, eux, se reproduisent quasiment à l’identique. Ils corroborent les mêmes décisions prises par la «Commission onusienne» (la Minusma) qui s’exercent sur les mêmes acteurs (Gatia et Mnla), sans se soucier de l’opinion des populations qu’elle doit considérer, en définitive, comme immatures politiquement. Une approche comparative des événements à caractère militaire, d’Anéfis, de Ménaka et de Kidal, le confirme, avec comme enjeu majeur, Kidal et sa sujétion imposée par le Mnla.
Un rappel historique s’impose, n’est-ce pas ?
Souvenez-vous, lecteur ! L’avancée des soldats maliens vers Kidal fut stoppée par l’opération militaire française Serval, sans doute à l’écoute de la propagande du mouvement armé séparatiste fondée sur des arguties génocidaires. Où ? Devinez ? À Anéfis ! Déjà. C’était en février 2013. Puis, ce fut l’attaque de Ménaka, occupée par ce même mouvement à dominante touarègue qui en fut chassé par le nouvel arrivé, à savoir le Groupe d’auto-défense touareg et alliés pro-Mali (Gatia) qui y reçut un chaleureux et vibrant accueil de la part de cette population. Cette victoire militaire du Gatia fit l’objet d’un «arrangement sécuritaire pour une cessation des hostilités», signé à Alger le 5 juin 2015, qui stipule, entre autres, le retrait de la localité de Ménaka des éléments armés de la Plate-forme (dont je rappelle, le Gatia est une des composantes) et leur retour à leurs positions initiales ; le repli des éléments armés de la Coordination des mouvements de l’Azawad (Cma) au-delà d’un rayon de 20 km autour de la localité de Ménaka ; le positionnement des Forces armées maliennes (Fama) à Ménaka, dans le respect des engagements antérieurs susmentionnés. Curieusement, la notion «d’antériorité» ne s’applique que sur le Gatia et les Fama, mais pas sur le Mnla. Vous avez dit «bizarre !» ? Quid d’une «zone de sécurité» à Kidal ?…
Quels rôles jouent la Minusma ?
Sans tomber dans le fétichisme des mots, force est de constater qu’il y a une différence de nature entre «retrait», «repli» et «positionnement». Cette différence illustre, sans ambages, les préférences accordées par la Minusma qui se déclare neutre et opérationnelle dans la protection des populations civiles. Ah bon ? … Je vous entends, lecteur ! …. Enfin, les récents affrontements meurtriers (15 morts), inacceptables, à Anéfis (encore !…) entre le Gatia et le Mnla ont fait l’objet, par cette même mission onusienne, de la création d’une «zone de sécurité» de 20 km (encore ! …) autour de la ville de Kidal (encore ! …), sans consulter les autorités politiques maliennes qui, pourtant, évoluent, selon les normes internationales dans un État de droit. Ainsi, on glisse insensiblement et insidieusement d’un «Mali sous influence» à un «Mali sous tutelle».
Quelle pertinence politique y voyez-vous ?
Le Communiqué de la Minusma précise que «tout mouvement à l’intérieur de cette zone de sécurité par des éléments de la Plate-forme ou affiliés à la Plate-forme sera considéré comme constituant un danger imminent pour la sécurité de la population de la ville de Kidal». C’est dans ce contexte que la médiation internationale somme la Plate-forme et la Coordination à l’arrêt immédiat, et sans conditions, des affrontements. En outre, on se souviendra que des Kidalois ont récemment dénoncé le détournement de l’aide humanitaire par des éléments du Mnla qui, le 2 juin 2013, avaient expulsé de cette ville les populations noires, considérées comme des espions au service du Mali… La couleur de votre peau fera de vous un espion, un «brave type» ou un «mauvais garçon».
Bref, quelqu’un de «fréquentable », c’est selon !… Voilà donc Kidal protégée et, par voie de conséquence, le Mnla également… Je retourne à cette déclaration onusienne officielle qui, sans enquête préalable et se fiant à la version du Mnla, accuse le Gatia d’avoir violé le cessez-le-feu. Peut-être ! … Mais, pourquoi ne pas attendre les résultats d’une enquête réclamée par diverses institutions et mouvements ?…
Au vu de ces événements condamnables, il apparaît que lorsque les rapports de force militaires entre le Gatia et le Mnla sont à la faveur du Groupe d’auto-défense, la «Commission onusienne» décrète soit un «arrangement», soit une «zone d’insécurité» qui profite, de facto, au mouvement autrefois séparatiste. Qu’en déduiriez-vous, lecteur ?….
Alors, quels «condiments» pour la paix au Mali ? Quels condiments ? Doux ou pimentés ?
La paix est un événement fondamental trop important pour la confier à des groupes armés. Alors, comment réconcilier les communautés, comment «détribaliser» le politique, comment restaurer la confiance du peuple malien en ses institutions, comment réintroduire l’autorité de l’État, si ces groupes armés non jihadistes n’expriment pas publiquement des formes embryonnaires ou symboliques d’auto-critique, une reconnaissance de leurs erreurs passées, une affirmation honorable du «plus jamais ça !» au nom, par exemple, des valeurs culturelles et de l’éthique d’antan de «l’ashek» et du «tékérakeyte» des Tamasheq ?… En quelque sorte, un «pardon politique» qui lèverait doute, suspicion et méfiance, en refondant la nation malienne «ré-unie». Les institutions de l’Etat peuvent induire des processus de réconciliation, mais si les protagonistes «historiques», c’est-à-dire les groupes rebelles armés, les groupes d’auto-défense et les acteurs étatiques n’en constituent pas les éléments moteurs pour appréhender sereinement et pacifiquement le passé et l’avenir de votre communauté de destin, c’est le peuple malien qui en paiera la facture. S’il ne s’en empare pas, la paix demeurera un mirage : pas celui des avions, mais celui des déserts…
Propos recueillis par Françoise
WASSERVOGEL