Ainsi donc, "Cèdo", comme tu appelais tes camarades et comme nous avons fini par t'appeler toi-même, tu es parti hier sans prévenir. Ni Amidou ( pourtant à Paris), ni Binta, ni Awa. Discrètement. Comme tu as fait toute ta vie....
Karounga Keïta qui s'est éteint, hier, à la Pitié-Salpétrière à Paris est un ami, un camarade et un frère. Il a lutté pendant près d'une décennie contre une maladie invalidante qui a fini par prendre le dessus ce 9 septembre.
Nos derniers entretiens et rencontres remontent à fin août , quand , avec Amidou Diabaté, nous avons comme d'habitude, passé en revue la situation du pays, exprimé nos inquiétudes et espérances communes. Karounga était cloué au lit depuis de très longs mois, boulevard de la Villette, entre les places Colonel Fabien et Jaurès.
Malgré cet état déprimant pour tous, Amidou et moi avons réussi à le dérider et ensemble nous avons tous rigolé à l'évocation d'épisodes de notre lutte commune d'immigrés et d'exilés à Paris,
Natif de Taganaga près de Dilly (Nara), Karounga avait ėmigré en France vers la fin des années mille neuf cent soixante-dix. Déjà magistrats à Bamako, Amidou Diabaté et Konimba Coulibaly y avaient entamé des études pour le doctorat en Droit.
Sorti de la prison de Ménaka et de la résidence surveillée à Talataye, ayant décliné les charges de chef d'arrondissement de Ouatagouna, je sortis clandestinement du pays (grâce au concours de mon ami Baaba Diyé Diakité et de camarades comme Yoro Diakité).
Arrivé en France en juin 1981, je rejoins les milieux démocratiques des étudiants et des travailleurs émigrés maliens qui luttaient contre la dictature.
C'est ainsi qu' à travers Amidou Diabaté et Konimba Coulibaly, je fis la connaissance de Karounga Keïta qui travaillait dans un des dépôts de la SNCF ( chemins de fer français) près de Paris.
Il avait soif d'apprendre et de se former politiquement et idéologiquement.
Amidou était son maître: il lui a appris à lire et à écrire et à se frotter à la politique.
C'est ainsi que Karounga est devenu ce militant ouvrier conscient qui a participé à toutes les étapes de la lutte de l'immigration malienne et africaine pour les droits démocratiques en France et pour les libertés au Mali.
Au sein de notre groupe politique clandestin, il portait le pseudo de "Jacques".
Les grèves de loyers dans les foyers, le soutien aux travailleurs grévistes de Citroën, de Renault, de Peugeot ou de Remetal, Jacques était de tous ces combats.
Le CDLDM ( comité de défense des libertés démocratiques au Mali) le CIDOA ( comité international de défense des ouvriers africains) le MORRA ( mouvement contre la répression, le racisme et l'apartheid), le Collectif anti-apartheid sont autant de cadres au sein desquels Jacques a milité.
Militant internationaliste généreux et disponible, il a participé à de nombreuses actions de solidarité avec les travailleurs en France et en Afrique, contre la répression en Afrique, et contre le régime raciste et colonialiste d'apartheid.
Patriote ardent, il s'est passionné pour la lutte du peuple malien pour la liberté et la démocratie. Nos derniers ėchanges, fin août, portaient sur la situation préoccupante du pays et les développements possibles.
D'humeur égale, toujours optimiste, il vous saluait par une vigoureuse poignée de main et par "Cèdo".
Le PARENA et le mouvement démocratique malien sont en deuil. C'est un grand camarade à l'engagement sincère qui nous quitte.
A sa veuve, Binta Diané, à leur fille Awa, aux familles Keïta de Taganaga, aux amis et alliés, je présente les condoléances émues et attristées au nom de tout le PARENA, de l'intérieur et de l'extérieur.
Salut Cèdo!
Dors en paix camarade!
Adieu Jacques!
Tiébilé Dramé