Contraint, au lendemain du putsch du 22 mars, de restaurer l’ordre constitutionnel et de céder le pouvoir aux civils, le chef da la junte a l’habilieté tactique de reculer pour mieux rebondir: il décide de renoncer au pouvoir formel pour en conserver la réalité. Et pour exercer le pouvoir par procuration, il a besoin d’un homme du profil de Diarra.
Si cet astrophysicien a une grande notoriété internationale, son poids politique et, donc, ses ambitions au plan national ne paraissent pas, en revanche, assez lourds pour l’amener à gêner l’emprise des militaires sur le gouvernement. De plus, Diarra, longtemps expatrié aux Etats-Unis et en Afrique du sud, n’a jamais été inféodé au régime d’ATT ni n’a trempé dans les malversations locales : il pourra incarner le changement que le capitaine a promis aux Maliens et collaborer avec les forces dites du changement qui ont soutenu le putsch de mars. En outre, pour n’avoir aucun allié dans la classe politique, Diarra a toutes les possibilités de mener à bien l’assanissement des finances et de la justice et, surtout, d’organiser de bonnes élections. Ancien de la Nasa américaine, patron Afrique du géant informatique Microsoft et proche du président Burkinabè, le médiateur de la CEDEAO, il possède un carnet d’adresses assez fourni pour desserrer l’étau économique qui étrangle le Mali et organiser avec succès la reconquête du nord. Enfin, Diarra est le gendre du général Moussa Traoré, cet ancien chef d’Etat qu’admirent les jeunes putschistes pour avoir, au plus fort de son pouvoir, bâti la première armée sous-régionale. En somme, à travers Diarra, le capitaine Sanogo pense tenir l’oiseau rare, le joker. Il se trompe. Le capitaine a oublié l’essentiel: la personnalité du nouveau Premier ministre.Diarra a, en effet, les défauts de ses qualités. D’une fougue dévastatrice et peu enclin aux compromis, il ne s’encombre pas de convenances diplomatiques ou politiques; il exécute à l’instant ce que lui dicte sa conscience, laquelle tient la classe politique traditionnelle pour responsable de la déchéance de l’Etat et digne, par conséquent, d’être balayée des centres de décision. Quant à la junte, Diarra se croit à l’abri de ses nuisances: d’abord parce que la communauté internationale, CEDEAO en tête, vieille à interdire toute immixtion des ex-putschistes dans la marche de l’Etat; ensuite, parce que l’Accord-Cadre du 6 avril octroie au Premier ministre les « pleins pouvoirs ». C’est sa personnalité, peu perméable aux réalités locales, qui perdra Diarra.
Première faute
Le premier gouvernement de Diarra, composé en majorité d’illustres inconnus, a le don de braquer la classe politique. Celle-ci n’a pas été consultée et se sent flouée puisque l’Accord-cadre et le contexte de crise préconisaient l’installation d’une équipe d’union nationale. Du coup, le MP22 du Dr Oumar Mariko, l’un des premiers soutiens du capitaine Sanogo, prend ses distances. Dans un furieux communiqué du 25 avril, le regroupement politique martèle: « Ce gouvernement n’est en aucune façon capable de mobiliser l’énergie de notre peuple pour libérer le Mali, sécuriser notre peuple et nos frontières et répondre aux aspirations des populations ». Et de conclure: « En conséquence, le MP22 décide de poursuivre son combat pour le changement qui se trouve très éloigné de celui suivi à l’heure actuelle par le CNRDRE et le gouvernement dirigé par Cheick Modibo Diarra ».
Quant au FDR, le front anti-putsch, pour n’avoir pas été associé à la formation du gouvernement, il sait désormais toute la défiance que lui voue le Premier ministre; ce dernier ne tirera donc aucun bénéfice politique du fait d’avoir confié des postes clés du gouvernement (économie et finances, par exemple) à des personnalités issues du FDR. Mais le FDR ronge son frein et se garde de toute condamnation ouverte: il savoure le clash entre Diarra et les activistes pro-putsch. Dans notre livraison n°165 du 29 avril 2012, nous publiions une chronique intitulée: « Gouvernement d’exclusion: la première faute de Cheick Modibo Diarra ». Et nous analysions: « Si le gouvernement avait inclus des représentants des forces vives, il aurait pu couvrir la manière unilatérale dont Diarra lui-même a été désigné à la primature. A présent, les hommes politiques n’auront pas tort de croire que l’Accord-Cadre n’existe plus, que la transition est prise en otage par la junte seule et qu’il ne faut attendre du gouvernement que des coups fourrés. Par conséquent, le divorce est consommé entre le gouvernement et la classe politique, ce qui n’augure rien de bon pour la suite des événements. Que Diarra tente de justifier l’exclusion de la classe politique par la pression éventuelle des militaires ne ferait qu’aggraver son cas: n’est-il pas censé détenir « les pleins pouvoirs » d’un Accord-Cadre signé par le CNRDRE et la CEDEAO?« .
Confrontation avec la junte
Coupé des partisans comme des adversaires du putsch, Cheick Modibo Diarra ne tarde pas, quelques semaines plus tard, à heurter de front le capitaine Sanogo lui-même.Le capitaine avait annoncé à la télévision que l’intérim présidentiel de Dioncounda prendrait fin au bout de 40 jours et qu’à cette date, une Convention nationale convoquée par le Premier ministre désignerait un nouveau président de la transition. Mais patatras! Diarra refuse de convoquer les assises qui, dès lors, font flop puisque dépourvues de toute base institutionnelle et légale. Sanogo, que certains soupçonnaient de vouloir revenir au pouvoir ou d’y placer un de ses fidèles à la faveur de la Convention, est ulcéré. Ses partisans civils, animateurs de la Convention nationale, le sont encore plus; les plus extrémistes d’entre eux manifestent leur colère en agressant le président Dioncounda Traoré. Le capitaine Sanogo, lui, place, sans mot dire, Cheick Modibo Diarra dans son collimateur.
Le Premier ministre aggrave son cas en suspendant les comptes-rendus réguliers qu’il faisait au capitaine au sujet des affaires gouvernementales.De plus, alors que Sanogo compte sur des financements publics massifs et immédiats pour traiter les révendications de l’impatiente troupe qui l’a aidé à renverser ATT, le Premier ministre serre les cordons de la bourse au motif que le pays traverse grave une crise financière. Le capitaine n’apprécie pas du tout cette diète que ses proches mettent vite en parallèle avec les voyages nombreux et coûteux de Diarra à l’étranger. Enfin, le Premier ministre pousse avec un peu trop d’empressement le processus de déploiement, au Mali, d’une force militaire internationale dont se méfie, sans l’avouer, la junte.
Demande de limogeage
Au bout du compte, le capitaine Sanogo ne veut plus de Cheick Modibo Diarra. Il dépêche secrètement à Paris, auprès du président convalescent Dioncounda, deux officiers supérieurs, dont un haut responsable de la sécurité d’Etat. Les émissaires sont chargés de faire la paix entre Sanogo et Dioncounda. Ils invitent le président à revenir, sans crainte, au pays et lui promettent une haute protection. Bien entendu, ils lui suggèrent de limoger, dès son retour, le chef du gouvernement que la junte accuse d’inéfficacité et de travail solitaire. Dioncounda n’est pas insensible à ce marché inattendu. Il aimerait bien recouvrer les prérogatives que la Constitution lui donne mais que Cheick Modibo lui dénie, au nom des « pleins pouvoirs » stipulés par l’Accord-cadre. Il aimerait également remettre en selle l’ADEMA, son parti, dont les principaux responsables chôment depuis l’avènement du Premier ministre et dont les cadres, à chaque conseil des ministres, sont expurgés des hautes sphères de l’administration. Au même moment, Dioncounda est pressé par la communauté internationale (le burkinabè Djibril Bassolé ne quitte plus sa suite de l’hôtel Pullman) de reprendre la main pour réhabiliter son image dégradée par sa sanglante agression. Et aux yeux du président, quelle meilleure manière de rétablir son autorité que le renvoi d’un Premier ministre qui s’estime indéboulonnable ? Dioncounda prend sa décision: il reviendra au pays et renverra le Premier ministre dans la nature.
Bien sûr, Cheick Modibo Diarra apprend ce qui se trame contre lui. Il prépare la parade en s’entourant d’une ceinture de sécurité politique composée, notamment, des regroupements CSM et COPAM. Comme deux précautions valent mieux qu’une, il mobilise aussi le Haut conseil islamique qui, lors d’une démonstration de force au Stade du 26 mars, exige le maintien du Premier ministre. Dioncounda et Sanogo sont impressionnés. Tétanisés. Contraints de reculer. Quoique outragé par l’annonce publique du Premier ministre qu’il ne démissionnerait pas et qu’il ne savait même pas à qui remettre son éventuelle lettre de démission, Diarra est reconduit à la primature avec, pour mission, de former un gouvernement d’union nationale.
Rupture avec les alliés
La tragédie du Premier ministre est de n’avoir pas su garder autour de lui l’alliance politici-religieuse qui l’a sauvé d’un limogeage certain et qui représentait sa meilleure assurance de survie. Il n’a pas compris qu’en politique, les fidélités s’entretiennent, surtout dans un pays où l’Etat sert de traditionnelle vache laitière aux hommes politiques. Le gouvernement que Diarra forme le 20 août 2012 suscite la colère de ses alliés. Le CNID et la Codem, membres de la CSM, reçoivent chacun un ministère. Le troisième poste que la CSM convoite est remis, non au PCR comme souhaité, mais au RPDM, le propre parti de Cheick Modibo Diarra, quand bien même ce dernier s’est déjà attribué un quota personnel d’une quinzaine de départements. Au reste, le ministère de l’Environnement, attribué à la CODEM, sera privé de 95% de son budget habituel quand celui de l’Agriculture, attribué au RPDM, conserve le gros de ses subsides. La CSM, coeur du dispositif politique du Premier ministre, grogne de dépit.
L’alliance IBK-2012, qui rejoint à pas de loup les soutiens du Premier ministre et lorgne, à ce titre, un gros gigot, hérite du tourisme, strapontin malheureux où il n’y a rien à faire – ni à gagner – par ces temps de jihadisme : le pauvre ministre du tourisme, Ag Rhissa, qui passe le plus clair du temps à se rouler les pouces, est obligé, pour faire un peu de figuration, d’assurer, par intérim, les activités de son homologue de la culture lorsque celui-ci s’absente.
La COPAM, clé de voûte du réseau politique du Premier ministre, comptait sur au moins cinq ministères. Elle en reçoit un seul. Elle finit par éclater quand Dioncounda Traoré attribue le ministère du travail à un proche d’Hamadoun Amion Guindo, président du regroupement: Younouss Hamèye Dicko, l’autre poids lourd de la COPAM, sorti brédouille de l’affaire et croyant que Guindo a traité dans son dos avec le Premier ministre, s’en va bruyamment créer un frange dissidente opposée, cette fois, à l’action de Cheick Modibo Diarra.
La fin
Détesté par le FDR, combattu par le MP22 et discrètement lâché par la CSM et la COPAM, le Premier ministre mécontente aussi ses soutiens internationaux. En effet, depuis le 22 mars, les anciens dignitaires du régime d’ATT travaillent au corps la communauté internationale. Celle-ci se laisse convaincre que Cheick Modibo Diarra travaille en solo, à l’exclusion des principaux acteurs politiques (le FDR, en particulier). La CEDEAO, qui a adoubé la nomination de Diarra à la primature, ne décolère pas de le voir hésiter à déposer à l’ONU une demande d’intervention militaire au nord du Mali. La CEDEAO se révolte carrément lorsqu’elle apprend que le Premier ministre prépare en douce sa candidature à la future élection présidentielle : l’instance sous-régionale de se fendre aussitôt d’un communiqué interdisant la candidature de toute autorité de la transition aux futures élections. Le divorce entre Diarra et la communauté internationale s’approfondit lorsque l’homme, sentant que les Concertations nationales visent à le débarquer de ses fonctions, travaille à les bloquer. Or ces assises ou, en tout cas, une entente sacrée des Maliens autour d’une feuille de route consensuelle sont réclamées par la communauté internationale qui ne veut pas risquer ses soldats et ses finances dans une opération de reconquête du nord pendant qu’au sud, où tout se décide, on s’entre-déchire.
Le capitaine Sanogo qui, on le sait, se tient depuis belle lurette en embuscade, ne veut pas laisser Diarra revenir de ses erreurs de parcours. Quant à Dioncounda Traoré, il juge le Premier ministre suffisamment isolé pour ne plus constituer un danger en cas de limogeage. Le président de la transition déclare alors à Sanogo que le moment est venu de se débarrasser de Cheick Modibo Diarra. Le capitaine, déjà impatient, fait arrêter le Premier ministre dans la nuit du lundi 10 décembre 2012.
Conduit manu militari à Kati où il est reçu par un collège d’une dizaine d’officiers arborant leur mine des mauvais jours, Diarra tente de battre en brèche les griefs élevés contre lui par la junte. Cette dernière ne se laisse pas amadouer et oblige son interlocuteur à rédiger sa démission et à la lire dans la foulée au micro d’une équipe de l’ORTM mandée pour la circonstance. On connaît la suite…