Face aux groupes terroristes et à l'immensité du territoire, les Etats de la région développent leur coopération, avec l'aide de la France
C’est un territoire vaste comme l’Europe ou les Etats-Unis, coupé de frontières issues de la colonisation française. Les groupes terroristes armés (GAT) comme les trafiquants de toute espèce en font fi. Les djihadistes d’AQMI, par exemple, ont leurs bases arrières dans le sud-ouest de la Libye et tentent de se réimplanter dans le nord-est du Mali, dont ils ont été chassés en 2013 par les militaires français. Entre les deux régions, plus de 1 500 km de pistes sommaires dans le désert, traversant l’Algérie ou le Niger.
Après le succès de l’opération Serval, qui était limitée au Mali, l’armée française a changé d’approche : face à des groupes qui n’ont que faire des frontières, il faut apporter une réponse régionale. D’où l’idée de l’opération Barkhane – du nom d’une forme de dune de sable – élargie à cinq pays de la bande sahélo-saharienne : le Mali, toujours, le Niger, la Mauritanie, le Burkina et le Tchad. Les opérations militaires françaises, impliquant 3 500 hommes, se déroulent dans les deux premiers pays (Mali et Niger), l’ensemble étant commandé depuis la base française de N’Djaména au Tchad.
Le territoire en question est tellement vaste que l’état-major français l’a divisé en deux « fuseaux », est et ouest. L’espace dans lequel évoluent les militaires français ne correspond absolument pas aux frontières des Etats. Ainsi le fuseau ouest tourné vers le nord-Mali : la base principale (« point d’appui permanent ») est à Gao, au Mali. Les avions de combat et les drones sont à Niamey, la capitale du Niger, les forces spéciales ont leur état-major à Ouagadougou, capitale du Burkina, et Tessalit, dans le nord du Mali accueille une « base avancée temporaire ». La porte d’entrée logistique est à Abidjan, en Côte d’Ivoire. Bref, on a reconstitué l’Afrique occidentale française !
Ce que les géographes appellent la « tyrannie des distances » impose sa loi : la ville malienne de Gao est bien plus proche des deux capitales voisines, Niamey et Ouagadagou, que de la sienne, Bamako, qui se trouve aujourd’hui à l’écart des opérations militaires. Même constat dans le Niger voisin. La France y a créé, l’an dernier, un poste avancé dans l’extrême-nord, juste à la frontière avec la Libye, réutilisant un vieux fort construit en 1930 par l’armée française. Madama se trouve à 1 500 km de sa capitale Niamey, la distance Paris-Stockholm…
Un aviateur décrit les conséquences de l’immensité de ce territoire : « Pour ravitailler en vol des avions de combat au nord du Mali, il est aussi simple de faire l’aller-retour depuis Istres que depuis N’Djaména. C’est plus loin, mais grâce à une piste plus longue et des températures plus basses en France, les Boeing C-135FR décollent d’Istres avec plus de pétrole. »
Si les armées pratiquent allègrement le saute-frontières, avec l’accord des pays concernés, deux pays restent hors zone : l’Algérie et la Libye. La coopération militaire avec l’Algérie reste très limitée, même si le pays autorise les vols de liaison au-dessus de son territoire, par exemple lorsqu’il s’agit de relever des Rafale. L’armée algérienne n’a pas, constitutionnellement, le droit d’intervenir hors de son territoire national et, compte tenu de l’histoire, on voit mal l’armée française y intervenir… Les militaires algériens, dont le professionnalisme est respecté par leurs homologues français, tentent de verrouiller leurs propres frontières sahariennes. La tâche est colossale et n’a pas empêché l’attaque du site gazier de Tiguentourine-In Amenas en 2013.
Autre zone interdite, malgré l’impatience du ministère français de la Défense, la Libye, dont la partie méridionale sert de zone refuge aux groupes terroristes. Faute d’accord des autorités libyennes – il y a deux gouvernements concurrents… – ou d’un mandat des Nations Unies, l’armée française doit se contenter d’intercepter les convois lorsqu’ils pénètrent au Niger par les passes de Salvador, Toumo ou Korizo. Des opérations, baptisées Kounama, ont régulièrement lieu dans cette zone, impliquant parfois des largages de parachutistes en plein désert.
La question des frontières est au centre de la coopération entre les Etats de la région, dans le cadre du G5 Sahel et du « partenariat élargi ». Les militaires français jouent le rôle de facilitateurs entre les forces armées nationales. Souvent désertées par les autorités locales, faute de moyens de transport et de communication, les zones frontalières servent de refuge aux groupes terroristes. D’où l’idée de monter des « opérations militaires conjointes transfrontalières » impliquant plusieurs armées, avec des droits de poursuite. Depuis 2013, huit de ces OMCT ont eu lieu et six autres sont déjà programmées. Elles impliquent chaque fois plusieurs centaines d’hommes.
Dans un contexte différent, l’opération Barkhane se retrouve impliquée dans un autre conflit transfrontalier, au sud-est de son dispositif, face au groupe terroriste Boko Haram. La base française de N’Djaména accueille une cellule de coordination et de liaison (CCL) impliquant les Etats de la région (Tchad, Niger, Nigeria, Cameroun), la France, les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Là encore, tout se joue à saute-frontières autour du Lac Tchad. Face à la menace terroriste, les Etats africains et la France apprennent à s’affranchir des frontières souvent absurdes héritées de la colonisation.
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