Mahmoud DICKO, le très respectable président du Haut conseil islamique du Mali (HCIM), habile dans son alternance de positions, parvient toujours à allier les impératifs intemporels, mais également du moment. Ce qui en fait de lui un personnage complexe, abonné régulièrement à la controverse. Focus sur ce leader religieux qui est en train de marquer son époque.
Récemment accusé de « traitre » par les djihadistes d’AQMI, l’Imam Mahmoud DICKO se retrouve de nouveau sous les feux des projecteurs. Ce jugement amenant à jeter un regard critique sur les prises de positions de l’homme au cours de ces dernières années particulièrement éprouvantes pour le pays du fait d’une conjonction de facteurs : perte du Nord par l’armée et son occupation par les groupes jihadistes ; coup d’Etat suivi d’instabilité politique et institutionnelle… Le pays, en 2012, était au bord du chaos. Et comme le disait Alphonse de Lamartine : ‘’Honte à qui peut chanter pendant que Rome brûle, – S’il n’a l’âme, le cœur et la voix de Néron’’, les leaders religieux ne pouvaient pas ne pas se sentir concernés par l’apocalypse qui se profilait à l’horizon. Dans ce désarroi, l’Imam DICKO s’est imposé comme un personnage central qui a une mission historique à remplir pour éviter au pays l’irrémédiable. Cela par des prises de positions tranchées, mais également faites de compromis dans l’optique que le dialogue conduit toujours à la compréhension mutuelle.
Avant les douloureux événements de 2012, l’Imam DICKO a occupé le devant de l’actualité à la faveur de la réforme du Code de la personne et de la famille. Dans la foulée des actions visant le retrait de ce Code considéré comme non conforme aux valeurs de l’Islam, il lui a été attribué les propos suivants : « je ne suis pas contre l’application de la Charia ». Une déclaration qui lui a aussitôt valu l’étiquette de fondamentaliste religieux dont il était d’ailleurs soupçonné du fait de son obédience wahhabite. Dès lors, ses faits et gestes étaient passés à la loupe par de nombreux observateurs.
Mais c’est à partir de l’éclatement de la crise politico-institutionnelle et sécuritaire, en 2012, qu’une attention plus accrue sera accordée à ses prises de positions dont nombre d’entre elles sont remises en cause aujourd’hui par lui-même. Ce qui n’est pas sans susciter la polémique.
Réaction calculée
La réaction de l’Imam a été très calculée pour ce qui était de la situation du Nord occupé par des groupes de djihadistes qui appliquaient la Charia dans son expression « moyenâgeuse ». Pour tenter de reprendre la main, il a préconisé le dialogue. Ce qui lui a valu de se rendre au Nord avec l’autorisation du gouvernement.
Dans une interview accordée à Charlotte Idrac, en septembre 2012, il affirmait : « Je suis allé à Gao, où j’ai rencontré les notabilités de Gao et puis le bureau régional du Haut Conseil du Mali à Gao, et certains responsables du Mujao ».
Le 16 juillet, le Président du Haut conseil islamique avait en effet été chargé par les autorités du pays, d’approcher les islamistes d’Ansar Eddine. Réitérant son option pour le dialogue, il a fait savoir : « Les autres sont organisés et dirigés, certainement par des gens qui sont un danger pour nous, et lui c’est un compatriote. Il représente un Frère musulman malien, qui est là ».
Auparavant, le Haut conseil islamique, à travers sa branche “les Ulémas”, avait organisé le dimanche 23 septembre 2012, au centre El Farouk, un atelier sur les conditions d’application de la charia (la loi islamique) au Mali. L’Indicateur du Renouveau relate à cet effet : « Pour sa part, le président du HCI, El hadj Mahmoud Dicko, a fait savoir que ce document sur les conditions d’application de la charia au Mali, une fois validé déclinera la position du Haut conseil islamique et sera éventuellement soumis à l’appréciation des plus hautes autorités au pays. Après cette étape, a-t-il poursuivi, le HCI demandera l’autorisation au gouvernement de rencontrer Iyad et son Ançar Eddine avec le document afin de leur expliquer les conditions d’application de la charia. S’ils ne parviennent pas à les convaincre, l’opinion nationale et internationale serait témoin quand même de la démarche du HCI d’avoir tendu la main à ses frères égarés, a-t-il justifié ».
Le tollé général
Bien qu’étant en mission commandée du Gouvernement, et inscrit dans une logique d’approcher des « frères » en religion, son déplacement autant que ces propos ont engendré un tollé général. Comment se fait-il que pendant que personne n’ose mettre les pieds au Nord, le Président du HCIM parvient-il à le faire, s’interrogeaient nombre de nos compatriotes parfaitement au fait des exactions commises dans cette partie du pays ? En réponse, beaucoup ont cru que c’est parce qu’il a des accointances avec ces islamistes. Une conviction renforcée par le fait qu’il a prêché le dialogue avec le salafiste Iyad Ag Ghaly, chef d’Ansar Eddine, et fervent partisan de l’application de la Charia.
En considérant qu’avant la prise et l’occupation du Nord par les djihadiste, il avait affiché son penchant pour l’application de la Charia, la conclusion a été vite tirée qu’il est de connivence avec les islamistes. A tort ou à raison ? En tout cas, c’est le même Imam qui faisait savoir : « Nous ne pouvons pas comprendre que des gens se mettent à amputer les mains et les pieds des populations du Nord au nom de l’islam. Et c’est pourquoi nous avons élaboré ce document pour aller les rencontrer afin de leur expliquer les conditions d’application de la charia avec des éléments de preuve. Si c’est une question de religion on peut la régler sans les armes, car nous avons gagné le combat contre le nouveau code des personnes et des biens sous l’ère ATT sans prendre les armes. Si Iyad et ses hommes acceptent nos propositions en déposant les armes tant mieux mais dans le cas contraire nous nous rallions derrière nos autorités parce que le Mali est un et indivisible ».
Plus tard, le Président du HCIM confiait à TV5Monde : « Il faut avoir le courage de le dire, certains éléments qui sont des Maliens eux aussi, qui font partie aussi de cette crise, ont été exclus de la négociation », a-t-il déclaré dans l’entretien, avant de préciser qu’il pense notamment à Ansar Dine, le groupe terroriste fondé par le sanguinaire Iyad Ag Ghaly. Et d’ajouter : « Il y a eu accord de paix. Ceux qui sont censés être les belligérants, tout le monde est d’accord. Si ça ne marche pas, c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas quelque part. Et ce quelque part là, pour moi, selon mes explications, c’est qu’en réalité on n’a pas discuté avec tout le monde». M. DICKO persiste donc dans son choix du dialogue avec Iyad quand celui-ci continue cependant à faire régulièrement des victimes au nom de la Charia.
L’intervention étrangère
Une autre question, sur laquelle la position du Président du HCIM a été inconstante, est relative à celle de l’intervention française au Mali pour chasser les djihadistes (terroristes). Répondant à la question de Laurent Larcher de savoir ce qu’il pense de ceux qui parlent de néocolonialisme, il répond : « Ils n’ont rien compris. La France n’est pas venue nous imposer sa manière de vivre, nous coloniser à nouveau. Elle nous sauve de dangereux individus qui ont failli s’emparer du Mali ». Il souligne dans une autre interview que l’intervention française n’est pas une « guerre contre l’islam »,
Au micro de Laurent Larcher, à la question de savoir s’il souhaite une base militaire française au Mali comme au Tchad, la réponse de M. DICKO a été sans appel : « Pourquoi pas. La sécurité au Nord sera assurée. Sur qui d’autre pouvons-nous compter ? La Cédéao ? L’Union africaine ? L’Organisation de la coopération islamique (OCI) ? Notre armée ? Nos politiciens ? Non ! Sur personne, sauf la France ! ». Aux yeux du Président du HCIM, le salut ne pouvait venir que de la France. Il n’est nullement incommodé par l’allusion faite au Tchad qui implique pourtant une présence militaire sur la durée aux termes d’accords de défense entre ce pays et la France. « Personnellement, je n’ai jamais réussi à obtenir la totalité des accords et leurs clauses secrètes, (…) tellement secrètes que je ne sais même pas qui les connaît », révélait Pierre Joxe ainsi, pourtant ancien ministre de la Défense. Il est alors évident qu’accepter une base militaire sur son territoire induit l’acception de beaucoup d’autres choses sécrètes.
Mais retournement spectaculaire de position que celui du Président du HCIM, lors du grand meeting de sensibilisation organisé le 12 décembre dernier, à la Grande Mosquée de Bamako. Ce jour, l’orateur a soutenu que le « djihadisme », tel qu’on le vit au Mali, est une pure « création des Occidentaux » pour recoloniser notre pays à travers leur présence militaire permanente. « Il ne faut pas qu’ils nous prennent pour des idiots ! » ». Plus que jamais remonté contre la présence des forces internationales dans le pays, il a martelé : « La présence des forces internationales dans notre pays, déclare-t-il, ne nous honore pas car ce sont ces mêmes « forces du mal » qui ont été combattues par nos anciens rois et chefs religieux comme Ahmed Baba, Samory Touré, Mohamed Lamine Dramé, Firhoun ou Babemba ». Enfonçant le clou, il déplore : « Malheureusement, notre pays s’est mis à la disposition de la métropole française dont les quatre volontés sont exécutées! ».
Que comprendre à présent ? A l’évidence pour le Président du HCIM c’est le plan de recolonisation de notre pays qui est en marche, selon un schéma classique : les Occidentaux créent le désordre par le biais des djihadistes, puis prétextent du rétablissement de l’ordre pour venir s’installer durablement. A-t-il vu juste ? Ce qui est certain, c’est qu’en 2013, il applaudissait l’Opération Serval et était particulièrement favorable à l’installation d’une base militaire.
L’affaire Radisson Blu
L’une des sorties les plus retentissantes de l’Imam DICKO a été suite à l’attentat de l’hôtel Radisson Blu, en novembre 2015. Quelques jours après ce tragique évènement qui a fait 22 morts et 9 blessés, il accorde une interview à la Radio Niéta qui s’est avérée très polémique dès sa diffusion. Il y soutient : « Tout ce qui se passe dans ce monde aujourd’hui se produisait avant. Chaque fois que les humains oublient, tombent dans l’excès, sur tous les plans, Dieu organise sa riposte pour leur montrer qu’ils ne sont rien. Dieu le fait à travers des calamités naturelles (incendies, vents violents, tremblements de terre, etc.). Il crée même des mésententes entre ces gens qui tombent dans l’excès ». Pour beaucoup, il a tenté de justifier ce qui est considéré comme injustifiable. Lui-même disait pourtant ne pas comprendre que des gens se mettent à amputer les mains et les pieds des populations du Nord au nom de l’islam. Or ce qui s’est passé à Radisson ou ailleurs était pire que des amputations. Il s’agit d’innocentes personnes dont le malheur a été de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment.
Au-delà des interprétations partisanes ou non, cette sortie a suscité deux réactions de taille.
D’abord, il y a eu celle du Président IBK qui a fait savoir : « Je réprouve totalement ces déclarations inappropriées. Ces propos ne sont ni les miens ni ceux du peuple malien. Le monstre hideux qui a frappé à Paris et à Bamako a le même visage. Seule la solidarité internationale permettra de le terrasser. Ce que dit M. Dicko n’engage que lui». Un internaute disait à propos de cette réaction présidentielle : « j’ai beaucoup apprécié l’intervention du Président de la république, car le plus important dans cette intervention est que le président n’a pris parti pour qui ce soit, mais il a simplement fait valoir ce qui peut être le mieux pour notre pays, c’est à dire l’intérêt général. Il a aussi appelé à l’apaisement entre les deux parties ».
La seconde réaction de taille a été celle du Procureur général près la Cour d’appel de Bamako, Daniel TESSOUGUE, qui, dans une interview à l’équipe de reportage de Renouveau TV, a soutenu : « C’est une sorte d’apologie du terrorisme que je sens. Parce qu’on a entendu un chef religieux dire que c’est une punition divine qui nous vient comme ça par le terrorisme. Ce sont des propos qui ne doivent sortir du tout ». Pour le PG, « nul Dieu ne confesse la mort de l’autre, aucun Dieu, ça je suis formel là-dessus. C’est des voyous qui nous amène ça et on ne peut pas défendre les terroristes, pas du tout. On n’explique pas le terrorisme, pas du tout ».
Pour calmer le jeu, certaines personnes soutiennent que le président du HCIM s’est mépris sur les vraies motivations des terroristes qui n’agissent ni au nom de Dieu ni au nom de la religion. « En disant que Dieu est colère, il semble légitimer leurs actes, or Dieu a les moyens autres que de tuer d’innocentes victimes, de rappeler l’humanité à l’ordre », rappelle une réaction.
Tout ce qui précède atteste à suffisance que le président du Haut conseil islamique est un personnage complexe, énigmatique. Pourtant, doté d’une intelligence au-dessus de la moyenne et profondément ancrée dans sa foi, il reste ce leader religieux qui sait trouver les réponses justes en des moments cruciaux.
Par Bertin DAKOUO