La marche de l’opposition a été une réelle démonstration de force, par laquelle elle s’est targuée d’avoir poussé de milliers de personnes dans les rues de Bamako. Au-delà du satisfecit politique, le déguisement sur les moyens utilisés, à savoir l’achat de conscience et la gratuité du transport pour les groupes de jeunes, extraits de leur préoccupation quotidienne, est un camouflet politique dont elle aurait dû se passer.
L’opposition malienne, pour ce premier coup d’essai politique, s’est réjouie d’une formidable mobilisation de force, en réussissant, samedi dernier, à lancer dans les rues de Bamako de milliers de personnes pour dénoncer ce qu’elle a appelé les dérives du régime. Il est clair qu’au finish, c’est presque mission accomplie, pour une opposition jusqu’ici hétéroclite, qui peine encore à renforcer sa cohésion, de tenir un tel pari de mobilisation maousse. Dès lors que les marcheurs ont pris d’assaut, en masse, les itinéraires choisis et de porter suffisamment haut le mot d’ordre de l’opposition, accablant dans tous les sens le régime en place, il est de bon ton, pour les organisateurs, de crier victoire et donc de mesurer la force politique de l’opposition à cette marée humaine, déferlante, désormais synonyme d’une nouvelle cure de virginité politique.
Hélas ! La victoire politique, très vite revendiquée, à la limite usurpée, à la suite de cette marche à plusieurs facettes, est trop artificielle pour être un chef d’œuvre politique à l’actif des responsables de l’opposition. Et pour cause ? Comme au bon vieux temps de la surenchère politique, sur fond de propagande tous azimuts, où le pouvoir veut faire étalage de sa toute-puissance mobilisatrice, en gratifiant les personnes de gadgets ou d’espèces sonnantes et trébuchantes, dans le but de provoquer le surnombre, c’est pareillement ce qu’a procédé, le week-end dernier, l’opposition malienne pour galvaniser sa troupe. En distribuant, comme elle a fait des espèces sonnantes et trébuchantes aux groupes de jeunes, dans différents quartiers de Bamako, surtout dans les pourtours de la manifestation politique, et en levant, pour ceux qui sont mobilisés pour le trajet, des centaines de sotramas et autres véhicules de transport public, l’opposition malienne a fait de la surenchère propagandiste, exactement comme l’aurait procédé n’importe lequel régime, pour pousser les personnes dans la rue.
C’est donc, pour la première fois, dans notre pays, qu’une opposition politique, dans un tel affrontement politique avec le pouvoir dont elle déplore ses tares, se livre à une telle machination politique qui n’a en réalité aucun sens ni pour elle, ni pour l’opinion publique dont elle cherche, par ce moyen détourné, à contrôler littéralement la conscience politique.
L’histoire retiendra, dans ce pays, que c’est cette forme d’opposition, qui ne lésine pas sur les moyens de l’intoxication politique, pour se faire entendre, dans la rue, qui a utilisé l’achat de conscience, érigé en mode de mobilisation de troupe, pour organiser sa première véritable marche contre le régime, dans le but de jauger non seulement de sa capacité de réaction politique, mais aussi du degré de son ancrage politique auprès de la population.
Jamais, de mémoire de combattant politique, dans l’histoire politique récente de ce pays, une force d’opposition, regroupée au sein d’une coordination, n’a fait usage d’un tel étage d’argent pour motiver les citoyens à battre le pavé contre les dérives supposées d’un régime, dont elle veut pointer du doigt les nombreuses insuffisances et carences de gestion. Et il est évident que jamais auparavant, dans notre pays, une opposition politique n’a fait ça pour être dans la rue : distribution d’argent, et transport gratuit de troupes.
Politiquement, une manifestation de l’opposition est symptomatique de sincérité politique, fondée sur sa vocation politique de jauger réellement ses forces sur le terrain. Pour un tel ancrage, elle ne saurait se parer de saupoudrage, comme elle l’a, le samedi dernier, lors de sa marche pacifique, en procédant systématiquement par distribution d’argent à des foules de personnes, apparemment non imprégnées des consignes politiques. Si ce n’est pas l’endoctrinement politique stérile et improductif, dans le long terme, une opposition, digne de nom, sûre de sa chose et de son faîte, n’a pas besoin d’un tel mode de surenchère propagandiste pour pousser les citoyens dans la rue, à aller revendiquer, les mains nues, en toute conscience politique, une meilleure gouvernance publique à un régime en place. En procédant par débauche d’argent, pour amener les groupes de jeunes à envahir les rues de Bamako, l’opposition, en toute inconscience politique, se rend elle-même coupable des maux qu’elle dénonce à longueur de journée à l’endroit du régime , dont elle se précipite à accabler de coups puisqu’ayant tout simplement bafoué l’orthodoxie comptable et financière dans la gestion des affaires publiques.
Que fera-t-elle, une fois installée au pouvoir, une opposition, qui procède par achat de conscience, étalage d’espèces sonnantes et trébuchantes, pour mobiliser les citoyens à suivre son mot d’ordre dans la rue ? Avant même qu’elle s’y installe, elle a fini de saper la morale publique, en termes de gouvernance d’Etat, en s’adonnant à des pratiques publiques abjectes et dérisoires, uniquement dans le seul but de se faire voir. Voilà pourquoi l’opposition malienne, au-delà du satisfecit politique qu’elle peut tirer de la grande mobilisation qu’elle a réussie, lors de la marche du samedi dernier, n’est aujourd’hui rien d’autre que l’ombre d’elle-même, face à un régime qu’elle accable de tous les maux de gestion inimaginables, et dont elle-même se pare volontiers, surtout s’il s’agit de montrer ses muscles dans la rue.
par Sékouba Samaké