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Mali: "Il serait inepte de céder à ce stade à toute forme de triomphalisme"
Publié le dimanche 3 fevrier 2013  |  L’Express


Le
© aBamako.com par A S
Le président François Hollande à Tombouctou.
Tombouctou,le 02 février 2013, le président français est allé visiter le centre culturel Ahmed Baba et la mosquée de Tombouctou.


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La reconquête des fiefs djihadistes du nord du Mali a été plus rapide que prévu. Maintenant, quel va être le rôle de l`armée française? La menace djihadiste est-elle encore présente?
Vincent Hugeux, grand reporter à L`Express, de retour du nord du Mali, a répondu à vos questions.

MALI - La vie a repris son cours normal dans les villes reconquises par les troupes franco-maliennes. Ici, sur le marché de Tombouctou le 31 janvier.
Reuters/Benoit Tessier
khao: Alors que la lutte contre le terrorisme est l`affaire de tous les pays démocratiques, la France s`est retrouvée relativement seule dans cette guerre, avec des participations timides des pays occidentaux. La France pourra-t-elle continuer seule le reste du travail? Et jusqu`où ira-t-elle dans cette lutte contre ces terroristes éparpillés dans le désert?

Deux facteurs expliquent la solitude -indéniable- de Paris dans cette intervention. Un, la posture initiale de la France elle-même, qui a revendiqué son leadership ainsi que la dimension bilatérale (franco-malienne) de l`initiative, avant de solliciter, de manière de plus en plus explicite, le concours logistique et financier des partenaires occidentaux. Deux, la méfiance historique de nos alliés -à commencer par Londres, Berlin et Washington- envers les aventures militaires postcoloniales de l`Hexagone. "Pas question de se laisser embarquer dans une guerre française en Afrique", m`a confié un jour un diplomate allemand au sujet de la crise tchadienne. Pour autant, l`ampleur du défi djihadiste, son caractère transnational et l`enthousiasme des civils maliens affranchis du joug de l`occupant tendent à saper de telles préventions. D`où le dégel, si laborieux soit-il, des concours extérieurs.

Quand Laurent Fabius prétend que les troupes françaises "partiront rapidement", n`en croyez pas un mot.

Il va de soi que la France ne peut continuer en solo. Et pas seulement pour des raisons budgétaires. Politiquement, symboliquement, il est impérieusement nécessaire de céder le volant à une force panafricaine, voire onusienne. Quitte à garder la maîtrise en coulisse de la "double commande". Jusqu`où aller? Comme toujours, il serait inepte de franchir le Rubicon pour y pêcher à la ligne. Quand Laurent Fabius prétend, comme il le fit voilà peu, que les troupes françaises "partiront rapidement", n`en croyez pas un mot. Elles resteront, fût-ce sous un autre format, afin de coordonner la deuxième phase de l`opération Serval: la neutralisation des djihadistes repliés dans le grand Nord malien. Telle est d`ailleurs la perception des officiers bleu-blanc-rouge croisés in situ...

Bari: Quel rôle assumera l`armée française après la reconquête du nord du pays? Nous savons tous que les troupes maliennes étaient incapables de sécuriser ces zones depuis plusieurs années, et j`ai comme l`impression que les rebelles utilisent la même stratégie qu`en Afghanistan...

L`analogie afghane est à mon sens tentante et trompeuse. Pour diverses raisons dont celle-ci: les talibans opèrent le plus souvent en immersion dans les sociétés locales, avec l`aval plus ou moins spontané des populations, hostiles en règle générale à toute occupation occidentale; au Mali, l`intervention franco-malienne a suscité un intense soulagement et le reflux des djihadistes n`alimentera aucune nostalgie, hormis chez ceux qui leurs devaient un emploi, un statut, de l`argent ou un toit. Certes, le noyau dur de la nébuleuse Aqmi-Mujao-Ansar ed-Dine s`efforcera, comme prévu, de lancer des opérations de guérilla depuis ses bastions montagneux de l`extrême-nord du pays. Mais sa capacité de nuisance sera me semble-t-il infiniment moindre que celle des rebelles afghans.

Au fond, l`objectif stratégique consistait à revenir au statu quo ante et à contenir les dingues de la charia loin des centres urbains. "On peut bien les laisser gouverner sur quelques cailloux", ironise ainsi un officier français. Pour sécuriser les villes reconquises (Tombouctou, Gao, Kidal), ce qui reste de l`armée malienne -bénéficiaire à terme d`un programme de formation européen- et les contingents africains de la Misma devraient faire l`affaire. En revanche, le potentiel technologique français et l`expertise des forces spéciales resteront nécessaires pour affaiblir encore un ennemi qui, pour l`essentiel, a jusqu`alors refusé le combat et choisi l`esquive.

DE LA MAULNE: Quid du don de matériels divers à l`armée malienne, à hauteur de 180 millions? Compte tenu des précédents, ne vont-il pas se retrouver au sein de la nébuleuse Aqmi, quand on connaît les soldes des armées régionales?

Les Américains et les Européens, France en tête, ne manqueront pas de tirer les enseignements de l`échec cuisant de la plupart des programmes de coopération militaire mis en oeuvre au long de la décennie écoulée. Ainsi que le démontre une enquête parue récemment dans le New York Times, Washington a englouti des sommes colossales dans la formation d`une élite militaire qui a, pour partie, rallié la rébellion avec armes, bagage technique et savoir-faire. Pour éviter de rééditer cette expérience, les "parrains" occidentaux exerceront un contrôle plus étroit, et pèseront de tout leur poids pour contraindre Bamako à conclure avec ses opposants, notamment les séparatistes touareg, un accord politique crédible. Une tâche herculéenne, du fait de la faiblesse des structures étatiques et partisanes maliennes, et de l`intensité des suspicions et des ressentiments mutuels, considérablement aggravés par le conflit en cours.

MP8: Comment les islamistes font-ils pour se ravitailler (nourriture, essence, armes) quand ils se trouvent dans les montagnes, alors que les frontières sont fermées et que les villes alentour sont prises?

Jusqu`alors, les djihadistes n`éprouvaient guère de difficultés à se ravitailler, compte tenu de la porosité chronique des frontières, à commencer par la frontière algérienne. C`est bien d`Algérie que les caïds d`Aqmi, Algériens eux-mêmes pour la plupart, "importaient" carburant et nourriture, leur arsenal ayant été en outre enrichi spectaculairement par la dispersion sauvage des armureries du défunt Mouammar Kadhafi; l`apport des volontaires affluant dans leurs sanctuaires et, le cas échéant, des achats sur le marché clandestin de la mort.

Le noyau dur djihadiste se comporte comme un boxeur qui esquive et se réfugie dans les coins d`un ring vaste comme la France.

Dorénavant, l`approvisionnement sera plus compliqué et plus aléatoire pour les rescapés repliés dans les grottes, notamment dans la région de l`Adrar des Ifoghas. C`est qu`Alger a décidé de mieux verrouiller sa frontière, ce que la Mauritanie et le Niger avaient déjà entrepris de faire. De même, le dispositif de surveillance aérienne mis en place rendra plus aventureuses les équipées des passeurs et autres fournisseurs, tout comme les sorties de leurs redoutables clients. Au fond, le noyau dur djihadiste se comporte comme un boxeur qui, aux prises avec un adversaire plus puissant et à l`allonge supérieure, esquive et se réfugie dans les coins d`un ring vaste comme la France. Le hic, c`est que les cordes dudit ring, hier distendue, ont été singulièrement retendues...

Jayceaon: Les analogies que font différents observateurs entre ce qui se passe dans le Nord-Mali et les différentes situations qui ont prévalues en Irak et en Afghanistan sont-elles recevables quand on sait que tous les pays qui entourent le Mali sont hostiles à Ansar ed-Dine, à Aqmi et au Mujao? Nous savons tous que les Moudjahidins étaient soutenus par les américains lors de l`invasion soviétique en Afghanistan, que les talibans bénéficient du soutien des services secrets pakistanais et des zone tribales pakistanaises où vivent en majorité des Pachtounes comme eux, et que les insurgés irakiens ont bénéficié de l`aide de la Syrie et de l`Iran?

La réponse est dans la question... Comme suggéré dans un commentaire antérieur, je tends à considérer que le parallèle que vous évoquez n`est que très partiellement pertinent. Non que le risque d`enlisement, ou d`ensablement, soit à négliger. Non que le scénario de la guérilla des dunes et de la rocaille -raids, embuscades, engins explosifs, attentats-suicides- paraisse incongru. Mais le contexte régional est, ainsi que vous le soulignez, nettement moins favorable aux djihadistes, qui évoluent pour l`essentiel en terrain hostile et ne peuvent miser ni sur des sanctuaires hors-zone ni sur le concours des populations locales. Par ailleurs, le fait que les rebelles islamistes n`aient pas ou peu -à la différence de leurs "frères" afghans ou irakiens- recouru aux procédés classiques de la guerre asymétrique version Djihad (ponts piégés, kamikazes) incite à la réflexion. Réservent-ils ce genre de pratiques au combat de demain? Ou manquent-ils d`une main-d`oeuvre prête à mourir en "chahid" (martyr) pour refouler les forces "impies"? En clair, si Paris est -de moins en moins- isolé sur l`échiquier diplomatique, la galaxie djihadiste, elle, semble l`être de plus en plus.

Alex: Bonjour. Les djihadistes sont repoussés, mais que vont-ils devenir? Où vont-ils aller poursuivre leur prosélytisme? La menace demeurera...

Elle persiste, sans l`ombre d`un doute. Avant tout, il serait inepte de céder à ce stade à toute forme de triomphalisme. Une fois encore, les soldats de Serval ont, à l`exception des violents accrochages initiaux, notamment dans le secteur de Konna, avancé dans le vide. Peut-être la version malienne du Djihad global n`a-t-elle pas vraiment commencé, du moins dans l`esprit de ses promoteurs. Ensuite, et même si les fantassins de la charia devaient essuyer dans cette partie du Sahel un cinglant camouflet, il leur resterait d`autres théâtres d`opération, notamment sur un registre terroriste classique. Il est plus aisé, par exemple, de frapper des intérêts français au Niger, au Burkina Faso ou au Sénégal, voire de grossir le "stock" d`otages, que d`affronter Serval.

Leur puissance de frappe a été à coup sûr affaiblie (pick-up, mitrailleuses, armement lourd et moyen), mais on ignore pour l`heure l`ampleur exacte des pertes essuyées, notamment humaines. Autre énigme: en dehors des phalanges les plus motivées, repliées dans les confins septentrionaux du pays, qu`adviendra-t-il du "deuxième cercle" des combattants, de ceux qui ont rejoint Aqmi, le Mujao ou Ansar ed-Dine par opportunisme ou par nécessité? Rêvent-ils d`un match retour, ou s`efforceront-ils de se faire oublier?

Abdelkrim: Pourquoi les terroristes occupant le nord du Mali ont-ils subitement décidé de descendre vers le sud? Qui les aurait incités à le faire? Une fois que l`armée française aura libéré les zones du Nord-Mali, où iraient les groupes "djihadistes"? La France voudrait-elle juste "pousser la poussière sous le tapis"?

Question judicieuse, que se posent sur place tous les acteurs rencontrés, maliens ou non. En attaquant Konna, puis en affichant leur ambition de fondre sur Bamako, les stratèges djihadistes ont à mon sens commis une bourde stratégique majeure. Alors même que l`inertie ambiante, la solitude de la France et la lenteur de l`assemblage d`une hypothétique force africaine leur fournissaient l`occasion de consolider leur emprise sur les deux-tiers nord du pays, sinon de tenir ainsi jusqu`en avril-mai, début de la saison des pluies.

Les djihadistes ont sous-estimé la vigueur de la riposte de la France qu`ils croyaient sans doute tétanisée par le sort des otages hexagonaux.

Pourquoi donc? Voici mon hypothèse: grisés par leurs succès, les djihadistes ont tablé sur l`insigne faiblesse de l`Etat malien -ou de ce qui en tient lieu- et sur les déchirements navrants de la classe politique bamakoise, au point de croire qu`une "fenêtre de tir" idéale leur était offerte; ils ont aussi sous-estimé la vigueur de la riposte d`une France que, sans doute, ils croyaient tétanisée par le sort des otages hexagonaux. Ce faisant, ils auront accompli l`exploit paradoxal de doper l`argumentaire des partisans de la manière forte, d`anéantir celui des "dialoguistes", encore acquis à la formule de l`issue négociée, de réduire au silence le capitaine putschiste Amadou Haya Sanogo et de renforcer quelque peu l`assise, vacillante, du président par intérim Dioncounda Traoré.

Touareg: Pensez-vous que les autorités maliennes soient vraiment conscientes des enjeux de cette crises et du problème séculaire des Touaregs, de leurs droits et de leur place dans ce pays? Ne pensez-vous pas que seul un fédéralisme sauvera le Mali?

Je voudrais en être convaincu. Manière d`avouer que, instruit par l`histoire des décennies écoulées, je ne le suis pas. Si, au terme de ce conflit armé, les acteurs politiques maliens n`engagent pas un effort sans précédent afin d`imaginer une formule politique crédible et durable, s`ils se bornent à bricoler l`énième avatar d`un "pacte national" à l`ancienne -intégration des uns dans l`armée ou la police, promotion sociale des autres, promesses souvent sans lendemain d`investissements sur les fronts scolaire, sanitaire et économique-, la France et ses partenaires n`auront acheté, à prix d`or d`ailleurs, qu`un simple sursis. Hors d`un programme de développement authentique, point de salut. Rendez-vous dès lors à la prochaine éruption.

>> Lire le reportage de Vincent Hugeux: les Touaregs, suspects désignés

L`ennui, c`est qu`il faudra réussir demain ce qui n`a jamais été accompli jusqu`alors, alors que le conflit en cours aura considérablement dégradé les relations entre les communautés du Mali. Soif de vengeance, méfiance, suspicion à tous les étages. En clair, et au prix d`amalgames injustes, les "Sudistes" considèrent tous les Touaregs comme les complices des bourreaux djihadistes. Qu`on le veuille ou non, toute solution suppose le retour sur l`échiquier de l`entité MNLA. Mais il faudra aussi que les animateurs de celui-ci renoncent clairement à la chimère de l`indépendance pleine et entière; qu`ils reconnaissent que, fut-ce par candeur, ils ont objectivement contribué à l`irruption sur la scène malienne d`une force fanatique étrangère à la culture locale; et qu`ils se souviennent qu`ils ne peuvent prétendre représenter tout les habitants du Nord, non-touareg en majorité.

De leur côté, les leaders bamakois n`ont d`autre choix que d`admettre la légitimité des revendications, notamment sociales, des Tamasheq. En ce sens, l`hypothèse d`un fédéralisme tempéré mériterait en effet d`être explorée. C`est à ce prix que l`on peut espérer, sans se bercer d`illusions pour autant, que vienne après la guerre le temps de l`après-guerre. Puis, on peut rêver, de quelque chose qui ressemblerait à la paix.

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