L’Union européenne et la France viennent de laisser les sanctions contre le Mali. Les Etats-Unis, et sans aucun doute d’autres pays, pourraient bientôt suivre le mouvement. Cette reprise de l’aide internationale a été obtenue contre la promesse des autorités maliennes d’organiser des élections générales libres et transparentes avant le 31 juillet prochain. Soit dans moins de cinq mois. Une grande partie de la classe politique et de la société civile souhaite également ce dont l’administration Obama a fait une exigence. L’Europe lui a emboîté le pas. Pour ces pays, il s’agit de doter le Mali d’institutions crédibles et légitimes, autrement dit issues d’élections transparentes. Mais les autorités maliennes ont-elles les moyens d’organiser ces scrutins, ont-elles les moyens de respecter le calendrier annoncé ? Toute la question est là.
Il est vrai que le pays, avec la reprise de la coopération internationale, s’attend à une pluie de dollars et d’euros, mais cet argent est destiné à des projets bien ciblés et destinés à la reconstruction, notamment celle des régions du nord. Des projets qui n’ont rien à voir avec le financement des opérations électorales. Le gouvernement doit donc se débrouiller avec d’autres lignes de crédit pour tenir ses promesses. Une gageure.
Un fichier électoral non fiable
Malgré les assurances données par les autorités, il est permis de douter de l’état d’avancement du fichier électoral biométrique. Les travaux exigent une véritable manne financière que le Mali a loin d’avoir, loin même d’espérer avoir, surtout à temps. Il reste moins de cinq petits mois pour établir même un fichier traditionnel, genre celui tiré du Ravec (Recensement administratif à vocation d’état-civil), et en tirer une liste électorale fiable. Notamment dans les régions précédemment occupées où l’administration, ses dossiers et ses archives n’existent plus.
Une autre gageure, au cas où les acteurs de la transition parvenaient à réunir les fonds nécessaires, c’est d’organiser des élections propres comme l’exigent les bailleurs de fonds. Cela suppose le rapatriement des populations déplacées et exilées dans d’autres pays voisins. Or, les autorités, à ce jour, ne connaissent même pas le nombre réel de ces populations car beaucoup d’entre elles ne sont pas recensées dans les camps de réfugiés, à l’étranger, ou dans les familles d’accueil, ici même au Mali.
Pour toutes ces raisons, il est pratiquement impossible d’organiser des élections susceptibles d’être acceptées de tous. Ce qui laisse présager de contestations postélectorales donc de violences potentielles dont le pays n’a pas besoin, après avoir été occupé dans ses deux tiers par des bandes armées terroristes, avec une guerre sur les bras.
Le Mali n’a pas donc besoin non plus d’élections précipitées qui risquent d’être bâclées et qui ne donneraient aucune légitimité au pouvoir élu. Ce dont le Mali a surtout besoin, c’est de s’atteler à sa refondation et à sa reconstruction. Pour cela, il serait important de faire ce que tout le monde demande, à savoir la tenue de concertations nationales du même genre que la conférence nationale qui, en 1991, a réuni tous les enfants du pays autour d’une même table. La conférence nationale avait permis de doter le Mali de ces institutions de la République qui, aujourd’hui, ont toutes montré leurs limites. Des concertations nationales inclusives pourraient permettre au pays d’améliorer le fonctionnement de ces institutions. Et même, éventuellement, si cela s’avère nécessaire, en créer d’autres.
Réforme institutionnelle
Avant sa chute, le président Amadou Toumani Touré avait fait élaborer un projet de réforme politique et institutionnelle qui avait eu l’assentiment de la très grande majorité de la classe politique et de la société civile. Ce projet, nécessaire au constat de nombreux dysfonctionnements au sein des institutions actuelles, mérite d’être remis au goût du jour et discuté par toutes les forces vives de la nation.
Des journées de concertations nationales inclusives sont le cadre idéal pour cette discussion qui ne manquera pas d’aboutir à un véritable projet de société pour un Mali nouveau. Et surtout, elles doivent être tenues avant toute élection. Elles doivent être organisées par les autorités actuelles, notamment le président de la République par intérim et le chef du gouvernement de la transition qui, comme ils l’ont promis, ne seront pas candidats à la prochaine élection présidentielle.
Mais, de même que cinq mois sont insuffisants pour l’organisation d’élections libres et transparentes susceptibles de n’engendrer aucune violence postélectorale, cinq mois seront insuffisants pour s’attaquer à la refondation politique et institutionnelle du Mali nouveau. Il faut donc prolonger la transition avec ces autorités qui, même si elles n’ont pas été élues, gagneraient toute leur légitimité en menant le bateau à bon port. C’est surtout de cela que le Mali a besoin.