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L’Indépendant N° 3240 du 22/4/2013

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Dépôt de Transit de Lafiabougou : Une Bombe à retardement
Publié le lundi 22 avril 2013  |  L’Indépendant




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A Bamako, les dépôts de transit d’ordures constituent un véritable casse-tête chinois pour les autorités communales. En effet, comme son nom l’indique «transit », les déchets ne devraient pas rester plus d’une journée dans ces endroits aménagés pour la circonstance. Cependant, force est de constater que tel n’est malheureusement pas le cas provoquant des sentiments différents au sein des populations riveraines. Car si pour certains ces dépôts sont un véritable goulot d’étranglement en raison des dangers et risques qu’ils peuvent engendrer (sources de bactéries, odeur nauséabonde, foyers d’incendie…) pour d’autres c’est plutôt un secteur pourvoyeur d’emploi et une source de revenus pour de nombreuses familles.

Il y a deux mois Batoma Konaté, une jeune Malienne de 18 ans, succombait à une blessure provoquée par le couvercle d’une boite de conserve alors qu’elle s’adonnait à sa tâche quotidienne. Celle-ci consistait à fouiller minutieusement les ordures déversées dans le dépôt de transit situé près du cimetière de Lafiabougou. Ses proches n’ayant pu se procurer le montant de 20.000FCFA destiné à ses soins médicaux, Batoma mourut à la fleur de l’âge. Comme elle, ce sont plusieurs personnes en majorité des femmes qui se ruent chaque matin sur ce dépôt pour tenter de récupérer les objets qui peuvent être réutilisés. Lafiabougou est pourtant un quartier réputé paisible et où il fait bon de vivre. Malgré cette image reluisante, certains de ses endroits, méritent bien que l’on s’en occupe sérieusement. En effet, à quelques mètres du cimetière se dresse devant nous un spectacle désolant voire lugubre : une montagne d’ordures nauséabondes érigée au milieu d’une vaste étendue.

En faisant un tour sur les lieux, on y rencontre des emballages, des papiers de tout genre, des légumes et des fruits pourris, des boites de conserve, des bouteilles vides et surtout les déchets plastiques, interdits dans certains pays. Ce spectacle est d’autant plus choquant qu’il se situe non loin du cimetière de très fréquenté par les proches des défunts qui viennent notamment pour se recueillir ou pour des enterrements. Ce dépotoir reçoit chaque jour des tonnes d’ordures provenant de plusieurs quartiers de la commune IV. Il s’étend sur une grande surface et n’est pas clôturé. L’autre aspect désagréable de cette scène, ce sont les fumées dégagées par les déchets incinérés la veille et qui rendent la vision pratiquement nulle et l’odeur tout aussi insupportable oblige les passants à se boucher le nez pour ne pas respirer cet air exécrable. Notons que les pyromanes qui mettent le feu à ce dépôt n’ont pas encore été identifiés. Bien que ces incendies se propagent souvent aux alentours des maisons environnantes. De quoi susciter la colère des populations riveraines qui assistent, impuissantes, à l’augmentation de ce tas d’immondices.

Pourtant malgré ces conditions hostiles à la vie humaine, ce dépôt à ciel ouvert accueille, chaque jour, des dizaines d’individus en majorité des femmes et quelques enfants, habillés en haillons, qui viennent fouiller les déchets à la recherche de quelques camelotes ou des bricoles pour les liquider sur le marché. Une manière pour eux de gagner leur vie. Dans un premier temps, ils se montrent très réticents à toute communication avec les journalistes. Par la suite, après quelques tentatives, certains finissent par briser la glace et acceptent de vous parler. Assise au bas de la décharge, Sata Traoré, une veuve avec 4 enfants, la trentaine, entourée de plusieurs « fouilleuses » pour ne pas dire fouineuses comme on les surnomme, nous dit qu’elle vient ici tous les matins dans l’espoir de ramener des choses qu’elle peut écouler sur le marché pour subvenir à ses besoins. « Je viens ici pour récupérer des sachets et quelques bouteilles pour les vendre à des clients. Je fais ce métier depuis plus de six ans, en fait depuis le décès de mon mari. Mes gains journaliers ne sont pas aussi fameux mais cela me permet de subvenir à mes besoins quotidiens comme la nourriture de mes enfants et le loyer. Mes enfants ne vont pas à l’école car je n’ai pas les moyens, je les initie à ce métier ».

Téné Camara, qui doit avoir la vingtaine, fait le même travail que Sata. Elle relate : « Je suis mariée à un chômeur et j’ai deux enfants à nourrir. Si je ne viens pas dans cet endroit chaque matin, je suis sûre qu’on passera la journée le ventre vide. Raison pour laquelle mon mari n’a d’autre choix que de me laisser faire ce travail harassant. Même étant malade je suis obligée de faire la corvée tous les jours ». Invitées à livrer leur sentiment sur les dangers qui les guettent en pratiquant cette activité, ces femmes se disent parfaitement conscientes mais soutiennent que les priver de venir sur ces lieux, c’est les empêcher de subvenir à leurs besoins vu qu’elles sont très pauvres. Elles se montrent par ailleurs très hostiles à toute présence des agents de la commune car ces derniers les chassent régulièrement les accusant de mettre le feu au dépôt. Des accusations qu’elles rejettent en bloc, indiquant que ce dépôt constitue leur seule source de revenus donc qu’elles ne peuvent pas l’incendier. Sur ces lieux où l’insalubrité a atteint son paroxysme, les « fouilleuses » sont en contact permanent avec les ordures, en conséquence elles s’exposent fortement à de nombreuses maladies. Malgré cette situation, elles ne portent ni gants, ni bottes, ni masques. Un énorme risque qui n’ébranle pas pour autant la détermination de ces soutiens de familles. Il faut reconnaitre aussi que ces malheureuses sont perçues comme des êtres marginaux, des parias et des bandits. Elles s’en défendent, estimant qu’au lieu d’aller voler ou commettre des crimes, elles essaient de gagner dignement leur vie même si celle-ci par la même occasion est dangereusement menacée.

Plaintes et complaintes des riverains

Il faut préciser que ce lieu est généralement très fréquenté. En effet, tout autour de ce dépôt se situent des commerces, quelques habitations sans oublier le grand cimetière de Lafiabougou, très visité par les proches des défunts ou pour des cérémonies funèbres. Ces derniers se plaignent régulièrement des contraintes que leur font subir ce dépôt. Hormis son odeur très fétide, cet endroit est le lieu de prédilection des microbes, parasites et d’autres vecteurs de maladie. A cet égard, un médecin qui officie dans un centre de santé non loin du lieu infecte énumère les pathologies qui affectent souvent les populations riveraines et même les usagers. Selon lui ces pathologies sont, entre autres, le choléra, le paludisme, le rhume, des maladies de la peau, des maladies respiratoires, la fièvre typhoïde, même souvent le cancer… A cette situation s’ajoutent aussi les incendies que le vent favorise et dont les auteurs n’ont jamais été débusqués. M. Balla Cissé, un vendeur d’essence au détail non loin du cimetière, se dit très mécontent à cause de l’emplacement de ce dépôt et surtout par la taille des ordures actuellement. Il estime que depuis quelque temps, ses affaires ne marchent plus à cause de cette situation. Ses clients, qui sont surtout des motocyclistes, se font très rares. Pour lui, des plaintes ont été déposées auprès des autorités communales, mais celles-ci leur répondent que la gestion du dépôt ne relève pas de leur compétence mais plutôt de celle de la Mairie du District. Non loin de là, se trouve M. Traoré, le gardien du cimetière, furieux de l’emplacement du dépôt. Il pointe du doigt le manque de volonté des uns et des autres qui serait à l’origine de cette situation calamiteuse. Car tout le monde s’alarme mais les réactions des autorités concernées sont tardives.

Les agents de la voirie déplorent le manque de moyens

Sur place, nous avons rencontré quelques agents de la voierie, mais l’ambiance ici n’est pas du tout à la motivation ni à la détermination. C’est plutôt un sentiment de tristesse et d’amertume qui prédomine. Ces agents manquent de tout, ils sont encore plus démunis que les « fouilleuses ». Leur Chef d’équipe, Moussa Fofana, raconte presque au bord des larmes: « Avant la voirie avait les moyens nécessaires pour évacuer les ordures. Il y avait au moins trois camions qui faisaient plusieurs rotations dans la journée. Les déchets ne passaient pas une seule nuit dans cet endroit. Mais actuellement, le parc de véhicule de la voirie est vétuste et n’a pas été réhabilité depuis de nombreuses années. Nous manquons de tout, même de carburant pour faire ce travail convenablement. Maintenant notre mission consiste simplement à sauver les meubles en orientant les charretiers afin qu’ils ne déversent pas les ordures partout ».

Les autorités communales se rejettent la responsabilité

Qui est responsable de cette situation ? La question reste entièrement posée. Il y a lieu de reconnaitre que cet endroit représente une véritable poudrière et une source de tension pour les populations riveraines. Pour cela, on se souvient du lynchage public auquel a échappé de justesse la première responsable de la commune I, lorsqu’elle visitait un dépôt de transit situé au niveau de cette commune, il y a presque deux ans. Ces populations étaient très remontées contre les débordements récurrents du dépôt de transit avec tout ce que cela comporte comme nuisances. Une scène de colère qui montre combien une telle situation constitue un danger permanent. Le chargé de la communication de la mairie de la commune IV, Amadou Haya que nous avons approché, nous a affirmé que l’évacuation des déchets du dépôt de transit vers les dépôts finaux relève de la compétence de la Mairie du District. A l’entendre le rôle de la mairie de la commune IV se limite à retirer les ordures des domiciles des populations riveraines jusqu’au dépôt de transit. Il a, par ailleurs, mis en exergue un problème de gouvernance en déclarant que la décentralisation n’est pas très poussée. Ce qui limite considérablement leur marge de manœuvre. Il a enfin révélé qu’une commission interministérielle a été mise sur pied depuis quelques mois mais que les conclusions de ses travaux n’ont toujours pas été rendues publiques.

Pourtant au niveau de la Mairie du District, c’est un autre son de cloche qui résonne. Pour Mahamane Mahalmadan Touré, directeur du jumelage et de la coopération décentralisée à la mairie du District, celle-ci fait de son mieux pour soulager les populations. C’est ainsi qu’il a indiqué que certaines communes ont déjà tiré leur épingle du jeu en s’appuyant sur des partenaires pour aménager leur dépôt de transit, citant en exemple la commune V qui a fait du débordement de son dépôt de transit situé à Baco Djocorni, un lointain souvenir. M. Touré nous parle de l’existence d’un plan d’aménagement de tous les dépôts de transit de Bamako dans le cadre du partenariat existant entre la mairie du district de Bamako et celle d’Angers. A cet effet, la première commune à bénéficier de ce plan est la commune II situé près du CFP, en face du stade Omnisports, a été aménagé. La commune IV doit aussi bénéficier de ce plan avec son dépôt situé près du cimetière de Lafiabougou. Le budget total pour les travaux est évalué à plus de 310 millions FCFA. La Mairie d’Angers s’est engagée à financer les travaux en s’appuyant sur un bureau d’étude malien mais le montant qu’elle alloue annuellement pour l’assainissement de la ville de Bamako est loin de faire le compte. Il faut nécessairement le concours d’autres partenaires. Raison pour laquelle la Mairie de Paris a été sollicitée et a même montré sa disposition à accompagner le District de Bamako pour la réalisation du projet.

Rappelons que le montant alloué chaque année par Angers pour l’assainissement de Bamako est de l’ordre de 62 millions de FCFA. Le même montant a été décaissé pour 2011 et 2012, ce qui fait un total de 124 millions disponibles pour l’aménagement du dépôt de Lafiabougou. Celui-ci devrait comprendre outre cet endroit, un parking et un espace vert. Cependant, notre interlocuteur ajoute que les autorités de la ville d’Angers devaient faire le déplacement en décembre dernier comme cela se fait chaque année pour le démarrage des travaux avec les fonds disponibles en attendant le complément. Mais avec la crise institutionnelle et sécuritaire que le pays traverse, ce déplacement n’a pu avoir lieu. Le technicien affirme que ce qui peut donner un coup de fouet aux travaux, c’est la venue de ces responsables prévue en décembre prochain. D’ici là, les populations de Lafiabougou, notamment celles qui vivent non loin du dépôt vont certainement continuer à crier leur désespoir et même tomber malade ou mourir. Personne ne leur viendra en aide. A moins que les pouvoirs publics prennent leurs responsabilités et acceptent de prendre le problème à bras le corps pour remédier au calvaire de ces populations qui n’a que trop duré. Car, faut-il le rappeler les élections approchent et la persistance dans la négligence de ce dossier peut être lourde de conséquences.

Les propos de M. Touré amènent à faire les observations suivantes : A l’évidence 62 millions de FCFA sont dérisoires pour débarrasser les différentes communes du district des montagnes d’immondices qui les asphyxient. Si de surcroit, ces 62 millions de FCFA sont généreusement octroyés par la ville d’Angers dans le cadre de son jumelage avec Bamako, alors l’on est en droit de se poser la question suivante : Que fait la Mairie du District avec le budget de 4 à 5 milliards annuellement voté ? A l’évidence, l’enlèvement des ordures ménagères et l’assainissement de l’environnement ne paraissent y occuper la place qui devrait leur revenir.

Réalisée par Maciré DIOP

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