Nommé le 22 avril 2019 par le président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), le nouveau premier ministre, Dr Boubou Cissé peine à mettre en place son gouvernement de « large ouverture ». Les tractations entre la classe politique et le pouvoir se poursuivent. Le Front pour la sauvegarde de la démocratie (FSD) et la Coalition des forces patriotiques (COFOP) qui animent l’opposition politique malienne ne veulent pas entrées au gouvernement sans un « accord politique et une feuille de route ». C’est ainsi qu’ils ont adressé un projet d’accord politique et feuille route au président de la République, le 27 avril 2019, dans lequel, ils souhaitent la détermination ensemble des « quotas de ministres de la majorité, de l’opposition et de la société civile ». Or, dans les contre-propositions du gouvernement, il n’y a aucune mention sur les quotas de ministre de telle ou telle regroupement. D’ailleurs, l’Article 18 de l’accord proposé par le gouvernement stipule que: «Adhérer au présent accord ne signifie point que la partie signataire obtiendra un ou des postes dans le gouvernement… ». Cependant, selon des sources, il y a eu des points d’amélioration dans la dernière mouture du document et la mise en place du gouvernement Boubou Cissé ne rencontre désormais que de blocages mineurs qui pourront vite être réglés. Nous vous proposons ci-dessous, l’intégralité des deux textes.
Projet d’ACCORD POLITIQUE ET FEUILLE DE ROUTE de l’opposition
Conscients des périls qui menacent l’Etat et la Nation, les signataires du présent accord ont convenu de l’instauration d’un dialogue national inclusif avec toutes les forces politiques et sociales significatives du Mali dont la finalité serait d’établir un diagnostic précis des maux dont souffrent notre pays en vue de leur apporter des solutions efficaces et pérennes ;
À la suite de la démission du Gouvernement le 18 avril dernier, les signataires, conscients des délais de préparation d’un tel dialogue, ont proposé que soit adopté immédiatement et préalablement à toute autre initiative, un Accord politique clair de partage de responsabilités assorti d’une feuille de route transparente connue de tous ;
Le président de la République, en retour, a marqué son accord sur les points suivants :
I- DANS LE CADRE DE L’ACCORD POLITIQUE DE PARTAGE DE RESPONSABILITES :
Le partage de responsabilités devrait permettre à toutes les sensibilités significatives de notre société de réaliser l’union sacrée et d’endosser collectivement la difficile gestion de sortie de la crise multidimensionnelle que traverse le Mali. Le choix judicieux des hommes capables d’assumer ces missions est la condition sine qua none du succès.
A cette fin il faudrait :
1- Définir le profil et identifier ensemble un Premier ministre, Chef de Gouvernement à même de faire face aux défis du moment ;
2- Avoir des échanges approfondis sur la structure du gouvernement et les profils des ministres qui doivent avoir des compétences avérées et une éthique reconnue ;
3- déterminer ensemble les quotas de ministres de la majorité, de l’opposition et de la société civile ;
4- définir le rang protocolaire des membres du gouvernement.
II- AU TITRE DE LA FEUILLE DE ROUTE :
Les principales actions à mener porteront sur :
1- l’organisation sans délai (autre que celui nécessaire à la bonne préparation qui ne saurait dépasser un (1) mois) d’un dialogue national inclusif avec toutes les forces politiques et sociales significatives du Mali.
2- la Poursuite de la mise en œuvre diligente de l’Accord pour la Paix et de Réconciliation issu du Processus d’Alger dans le cadre d’une appropriation nationale du processus de paix.
Ainsi l’Accord pour la paix, dans sa mise en œuvre doit :
a) écarter tout risque ou germe de partition du Mali à court, moyen et long termes ;
b) insister sur *la lutte* contre l’insécurité sur l’ensemble du territoire national et sur l’indispensable réconciliation nationale, afin de recoudre le tissu social et le vivre ensemble ;
c) mobiliser le peuple malien dans toutes ses composantes afin de reprendre en main son destin, de réaffirmer sa souveraineté sur l’ensemble du territoire national, et inviter tous les partenaires à l’y accompagner ;
3- la mise en œuvre de mesures urgentes pour sauver l’année scolaire et apporter des solutions pérennes aux crises récurrentes de l’Ecole en lien avec les dispositions communautaires régissant le secteur ;
4- la Conduite dans le consensus des réformes politiques, institutionnelles, économiques et sociales indispensables pour la consolidation de la démocratie, la stabilisation du pays et le progrès économique pour tous ; (modernisation et rationalisation des institutions ; révision consensuelle de la Constitution du *25 février* 1992 ; relecture des textes et création d’un organisme indépendant de gestion des élections ; mode de scrutin ; découpage territorial…)
5- la stabilisation du centre et du nord du Mali: par la mise en œuvre de mesures efficaces de sécurisation (FAMAS et Forces internationales) et d’un processus politique de dialogue intra et intercommunautaire, redéploiement de l’État et des services techniques et sociaux ;
6- la restauration de la paix sociale à travers le règlement diligent des nombreux conflits sociaux et assurer la fourniture correcte des services sociaux de base comme l’éducation, la santé, la sécurité, la justice… sur toute l’étendue du territoire national ;
7- l’assainissement et la gestion rigoureuse des finances publiques soutenue par une lutte implacable contre la corruption, la gabegie et la délinquance financière ;
8- la lutte contre l’impunité, le népotisme, toutes les formes d’injustice et la mauvaise gouvernance par la Réhabilitation de la Justice en faisant de l’exemplarité et de la redevabilité les référentiels de l’action publique ;
9- le respect de nos valeurs sociétales et religieuses.
10- l’adoption de mesures fortes contre l’incivisme et l’indiscipline ;
Un mécanisme très précis de suivi-évaluation sera mis en place pour l’exécution correcte dans les délais qui seront précisés dans la feuille de route de toutes les mesures arrêtées.
Les regroupements et partis politiques, les mouvements signataires de l’accord pour la paix et la réconciliation, les regroupements de la société civile, les entités religieuses, les partenaires sociaux soussignés
D’autre part
Il a été convenu ce qui suit :
PREAMBULE
Le Mali traverse une période difficile de son histoire politique, une période marquée par une résurgence terroriste avec des attaques barbares et meurtrières ciblant les populations civiles, les forces armées et de sécurité nationale ainsi que les forces internationales participants à la mission de stabilisation du Mali. La période est également marquée par les revendications grandissantes des travailleurs, les grèves qui paralysent l’économie nationale et aussi d’autres revendications sociales de plus en plus véhémentes et menaçant la stabilité générale du pays. La période est également marquée par des appels à peine voilés à l’insurrection populaire, à la défiance vis-à-vis de l’autorité légitime. Ces difficultés n’occultent cependant pas le fait que le gouvernement travaille à respecter les engagements qui découlent des accords conclus avec les partenaires sociaux et, également ceux découlant de l’accord pour la paix et la réconciliation signé le 15 juin 2015 et le pacte pour la paix au Mali signé le 15 Octobre 2018.
Le Président de la République, conformément à ses prérogatives découlant de l’article 38 de la Constitution, a nommé un nouveau Premier ministre. Et fort de son rôle de gardien de la Constitution, et incarnant l’unité nationale, il a instruit au Premier ministre de former un gouvernement de large ouverture prenant en compte les différentes sensibilités politiques nationales et travailler à trouver les solutions aux défis actuels dans une démarche consensuelle, impliquant le plus grand nombre d’acteurs nationaux. Le présent accord sert à encadrer les relations de collaboration et d’action politique que le Premier ministre souhaite établir avec toutes les forces politiques nationales qui sont invitées, au nom du Président de la République, à apporter leur contribution à l’œuvre de reconstruction nationale. Les parties signataires peuvent participer à l’équipe gouvernementale comme elles peuvent apporter des contributions sous la forme de propositions de politiques générales ou spécifiques.
Chapitre I : De la formation du nouveau gouvernement et de sa mission
Article 1er : Le Premier ministre engagera de larges consultations avec les Partis politiques et regroupements de Partis politiques, la société civile, les groupements religieux et les syndicats avant la formation du nouveau gouvernement. Il invitera tout regroupement désireux à se joindre à son administration en diverses capacités, ne se limitant pas uniquement à des postes ministériels.
Article 2 : Le Premier ministre choisira, sur proposition de leurs groupements, des personnalités qui formeront le prochain gouvernement sous sa direction. Le nouveau gouvernement travaillera à la mise en œuvre du programme 2018-2023 du Président de la République « Ensemble pour la paix et le progrès : Notre grand Mali avance ».
Article 3 : La mission du gouvernement consistera à initier les actions concertées suivant les axes ci-après:
- la paix et la cohésion nationale,
- les reformes politiques et institutionnelles,
- la lutte contre le terrorisme et une plus grande sécurisation de l’ensemble du pays, en général, et des régions du Centre en particulier,
- la mise en œuvre des résolutions et recommandations des états généraux de l’éducation,
- l’apaisement du front social par la refondation du cadre légal et règlementaire du monde du travail sans mettre en cause les droits acquis des travailleurs,
- une croissance économique inclusive
- la restauration de l’autorité de l’Etat,
- la lutte contre la corruption et l’enrichissement illicite,
- la promotion de la jeunesse
- le renforcement de la diplomatie malienne et la coopération internationale
- la lutte contre les changements climatiques
Ces axes feront l’objet d’une feuille de route qui sera mise à la disposition des membres du gouvernement par le Premier ministre.
Article 4 : Le gouvernement formé travaillera dans la collégialité et ne saurait servir de terrain de promotion politique d’un parti ou d’un regroupement, ni de contestations politiques qui conviennent plutôt à un parlement.
Une fois qu’ils ont pris fonction, les ministres répondent au Premier ministre, chef du gouvernement et seulement à lui.
Article 5 :Un ministre qui démissionne de son parti, de son regroupement politique ou de l’entité qui l’a proposé, perd automatiquement son portefeuille. Il sera pourvu à son remplacement suivant la même procédure qui a abouti à sa nomination. Un Parti politique, un regroupement ou toute autre entité représentée au sein du gouvernement ne peut non plus obliger son préposé à démissionner ou le remplacer à son bon vouloir, sauf les cas de faute professionnelle entachant la réputation du gouvernement ou de crime ou délit flagrant.
Chapitre 2 : Du dialogue politique national inclusif
Article 6 : Le gouvernement, sous la direction du Premier ministre devra, dans les 15 jours de sa prise de fonction, entamer un dialogue politique national dont les termes de référence feront l’objet d’échanges avec toutes les forces politiques. Le dialogue politique national inclusif devra inclure les membres de la Commission Constitution de la constituante de 1992.
Article 7 : Le Président de la République, à travers le Premier ministre proposera le format qu’il juge approprié dans un esprit d’inclusion et après analyse des suggestions que les acteurs sociopolitiques pourront lui faire.
Article 8 : Les recommandations issues du dialogue politique national inclusif seront mises en œuvre suivant un calendrier précis.
Les recommandations relatives à la reforme constitutionnelle seront remises au Comité d’Experts pour la réforme constitutionnelle. Le Comité en fera une revue technique et incorporera les propositions dans le texte de l’avant projet de loi portant révision de la Constitution.
Un comité de suivi de la mise en œuvre des recommandations sera mis en place a la fin du dialogue. Le Comité soumettra des rapports mensuels au Président de la République.
Chapitre 3 : De la mise en œuvre de l’accord pour la paix et la réconciliation et la lutte contre le terrorisme
Article 9 : Les Parties signataires du présent accord reconnaissent et réaffirment leur engagement à la mise en œuvre scrupuleuse de l’accord pour la paix et la réconciliation signé le 15 juin 2015 à Bamako. Elles soutiennent les mécanismes de suivi tels que décrits dans le texte de l’accord lui-même et réaffirment le caractère unitaire et laïc de l’Etat du Mali.
Article 10 : Les Parties s’engagent à faciliter le dialogue entre les communautés et s’abstiennent de toute prise de position, de toutes déclarations pouvant exacerber la division entre les groupes ethniques et/ou religieux du Mali.
Article 11 : De bonne foi, les parties signataires affirment leur soutien indéfectible aux forces armées et de sécurité nationale dans la lutte contre le terrorisme et s’abstiennent de toute déclaration tendant à les décrédibiliser et ainsi mettre en péril les efforts de stabilisation engagés par elles sur le terrain.
Chapitre 4 : Des reformes politiques et institutionnelles
Article 12 : Les Parties conviennent de la nécessité d’engager des reformes profondes de la gouvernance en vue de créer une société plus démocratique, juste et prospère. A cet effet, elles conviennent de procéder à la reforme constitutionnelle à la sortie du dialogue politique national inclusif avec l’adoption d’un projet de loi portant révision de la Constitution du 25 février 1992.
Article 13 : Toutes les propositions de reformes majeures du Président de la République et du Premier ministre seront examinées et adoptées lors du dialogue politique national et améliorées au besoin par les propositions des autres forces vives de la Nation.
Chapitre 5 : De l’apaisement du front social
Article 14 : Les parties s’engagent à travailler à l’apaisement du front social et à la mise en place d’un moratoire de 9 mois dans l’exercice du droit de grève permettant de traiter de manière holistique de toutes les demandes des travailleurs du secteur public comme du secteur privé.
Article15 : le gouvernement, 15 jours après sa prise de fonction, commencera à travailler avec les directions des ressources humaines des administrations d’Etat, le Patronat malien et avec tous les syndicats à un examen général approfondi de l’état de l’économie, des conditions de travail au Mali, des revendications salariales, des bénéfices et indemnités ainsi que des pensions.
Ce travail d’analyse a pour objectif de proposer une refondation du cadre légal et règlementaire du monde du travail et la revalorisation de la rémunération sans jamais mettre en cause les droits déjà acquis.
Le gouvernement fera appel, au besoin, à l’expertise internationale.
Article 16 : Le gouvernement conviera à la suite, une conférence regroupant syndicats, employeurs publics et privés, avec pour objectif d’arriver à un pacte social assorti d’un plan d’exécution, de suivi et d’évaluation.
Chapitre 6: Dispositions finales:
Article 17 : Le Présent accord est conclu pour une durée indéterminée. Il cessera cependant de produire ses effets si le Premier ministre et son gouvernement, mis en place à la suite de cet accord, venaient à démissionner.
La partie qui estime que l’accord est violé par une autre partie pourra saisir les Témoins, garantis moraux par une lettre de dénonciation formelle.
Article 18 : Adhérer au présent accord ne signifie point que la partie signataire obtiendra un ou des postes dans le gouvernement. Toutes les parties se verront cependant offrir la possibilité de contribuer à l’action du gouvernement.