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Dr Aly Tounkara : «La libération de Soumaïla Cissé est un pont pour le dialogue avec les groupes radicaux violents»
Publié le mardi 27 octobre 2020  |  L’Essor
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Le directeur du Centre des études sécuritaires stratégiques au Sahel (CE3S) revient sur la libération du président de l’URD. L’expert donne aussi son point de vue sur l’annonce du secrétaire général des Nations unies sur un possible dialogue avec certains terroristes et la grève des administrateurs civils en cours




Sur la libération de Soumaïla Cissé, Dr Aly Tounkara pense qu’en s’intéressant de près aux conditions de son rapt qui a eu lieu en pleine campagne pour les législatives, il n’y a pas eu de revendication proprement dite de la part des groupes radicaux violents. Bien que cette zone relève de la Région de Tombouctou, il dira que ce sont des hommes obéissant à Amadoun Kouffa qui sont plus influents à Niafunké et alentours plus que d’autres Katiba.

Dr Tounkara estime qu’il faut concevoir cette libération en deux temps. Dans le premier temps, dit-il, beaucoup de Maliens s’étonnent du fait que plus de 200 présumés terroristes auraient été relâchés par le pouvoir central de Bamako en vue d’obtenir la libération de Soumaïla Cissé et des autres ex-otages occidentaux. « Du point de vue numérique, il y a un problème de principe qui se pose.

Cela pose une question d’équité et d’égalité et même de préférence en termes de traitement qu’accorderait l’état vis-à-vis de ses propres ressortissants et citoyens », souligne le spécialiste, pour qui, c’est un premier élément qui peut paraître gênant du point de vue légaliste, constitutionnel, voire éthique.

COMPROMISSIONS-Dans le second temps, explique-t-il, il s’agit de s’interroger sur la pertinence, l’efficacité et surtout l’utilité d’une telle libération notamment pour le cas précis de Soumaïla Cissé. Mais Dr Aly Tounkara s’empresse de rappeler qu’il n’y a pas un conflit de nature terroriste qu’on soit en Afghanistan, en Irak, en Algérie en son temps ou en Mauritanie dans un passé récent où il n’y a pas eu de compromissions. « Chaque état qui connaît un début d’accalmie et qui avait été sous attaques terroristes a dû procéder à des compromissions. On a libéré des milliers d’ex-terroristes en Algérie afin que le pays puisse connaitre la stabilité bien qu’elle ait une armée très puissante », rappelle le directeur du CE3S, soulignant qu’il faut raisonner en termes de pragmatisme.

Il est d’ailleurs revenu sur l’histoire récente de l’Afghanistan notamment des Talibans avec les états-Unis qui, pour lui, est une illustration parfaite. « Ce sont des milliers de Talibans terroristes qui avaient non seulement tué des soldats américains et d’autres militaires occidentaux mais aussi des citoyens afghans qui ont été relâchés ne serait-ce que pour engager le dialogue avec les états-Unis et obtenir un cessez-le-feu », rappelle Dr Tounkara, soulignant que « quand on agit dans le sensationnel ou dans l’émotionnel et lorsqu’on conçoit la libération de Soumaïla Cissé en terme numérique, on est choqué humainement et juridiquement ». Mais du point de vue pragmatique et en toute objectivité, il dit qu’une telle libération a plus de positivité que de négativité. D’après lui, il fallait chercher un pont avec ces groupes radicaux violents.

Il précise que c’est le pouvoir de Transition qui est allé au bout du tunnel. Mais des négociations avaient commencé sérieusement sous le président Ibrahim Boubacar Keïta. Selon lui, l’ex-chef d’état avait consenti beaucoup d’efforts notamment à travers la mise en place de la cellule de crise qui s’est battue jusqu’à la dernière minute pour cette libération.

Dr Tounkara clame qu’aucune armée n’est arrivée à bout de l’insécurité liée au terrorisme avec les seules réponses militaires. « Les réponses militaires sont nécessaires incontestablement et indispensables, mais elles ne suffisent à elles seules pour arriver à bout du terrorisme », déclare-t-il . Pour lui, parmi les facteurs qui sous-tendent le terrorisme, la dimension idéologique est la plus importante. Et on ne peut pas vaincre cette idéologie par les armes. « Seule l’arme du dialogue me paraît la plus redoutable », insiste-t-il .

LEGITIMATION-Selon lui, on ne peut pas connaître le conflit lié au terrorisme et accuser autant de retard sans parler de l’offre de dialogue. C’est pourquoi, il note qu’on était dans le déni à travers les Nations unies. Dr Tounkara rappelle que la conférence nationale organisée en 2017 et le Dialogue national inclusif en décembre 2019 ont demandé au président Ibrahim Boubacar Keïta en son temps de déclencher le dialogue avec Amadoun Kouffa et Iyad Ag Ghaly.

« Je pense qu’aujourd’hui, vouloir dire qu’il faut aller au dialogue et limiter les acteurs qui doivent prendre part à ce dialogue doit relever d’une question de souveraineté », estime le spécialiste des questions sécuritaires. Pour lui, ce sont les autorités administratives, militaires et politiques qui doivent non seulement fixer le cap du dialogue mais dans le même temps, définir son contenu.

« C’est important qu’au sommet des Nations unies, on reconnaisse l’importance de déclencher ce processus avec les groupes radicaux violents. C’est déjà un grand pas », souligne Dr Aly Tounkara, qui pense que venant d’une personnalité au sommet des Nations unies, cette déclaration légitime les voix nationales qui plaident en faveur d’un tel dialogue avec les groupes radicaux violents. à cet effet, il croit que la libération de Soumaïla Cissé pourrait constituer déjà un pont car beaucoup de personnalités qu’elles soient à Bamako ou relevant des chefferies locales y ont été impliquées.

« Ces personnalités apparaissent déjà comme un pont pour l’état central du Mali et il ne faut plus accepter que ce pont soit coupé », conseille-t-il , tout en indiquant que les acteurs comme Amadoun Kouffa et Iyad Ag Ghaly sont aujourd’hui aux abois et n’aspirent qu’à un début d’accalmie.

D’après lui, ce sont des gens retranchés qui se trouvent dans des conditions climatiques et géographiques difficiles et dans une posture de vivre en permanence en catimini, avec la peur d’être découverts ou attaqués à tout moment. Malgré cette situation, il souligne que l’offre du dialogue pourrait être, dans un premier temps, tendu car ils vont demander le départ immédiat des troupes étrangères se trouvant sur le territoire malien. Et de la même manière, ils vont poser comme condition, l’application stricte de la charia.

« Ces deux aspects ne sont pas insurmontables. Quand on déclenche un tel dialogue, on ne le fait pas avec amateurisme. Il y a tout une gamme de démarches à mettre en place », suggère le spécialiste qui estime qu’il faudra designer des acteurs qui vont être partie prenante de ce dialogue notamment des experts sur les questions sécuritaires, géographiques, théologiques et de gouvernance.

« Il faut avoir des arguments théologiques convaincants susceptibles de déconstruire le recours à la violence au nom du référentiel musulman car ce sont des gens qui se moquent pas mal des droits humains et de la Constitution », croit savoir Dr Aly Tounkara, précisant que le seul argumentaire qui paraît à leurs yeux pertinent, est l’argumentaire religieux. Il déplore que les accords signés par l’état central de 1960 à nos jours aient manqué cruellement de cette expertise plurielle. C’est pourquoi, la partie malienne est toujours perdante. « Si le dialogue doit être déclenché, il faut dès maintenant préparer les experts », préconise-t-il.

Parlant de la grève des administrateurs civils, Dr Tounkara indique que ceux-ci sont le symbole de l‘état dans le Mali profond. Il reconnait toute leur importance en termes de représentation de l’état. Mais pour le spécialiste, les zones en proie à l’insécurité sont majoritairement incarnées par des représentants de l’état militaires qui ne sont pas forcément en grève à cause de leur statut militaire. Sans minimiser la grève des administrateurs civils, il avoue que les localités sous contrôle des groupes radicaux violents sont déjà déshéritées de ceux-ci. Mieux, selon lui, de 2012 à nos jours, ce qui est visible en termes de cartographie sécuritaire, c’est une absence prolongée des préfets et sous-préfets et même des magistrats dans les localités sérieusement en proie à l’insécurité.

Dieudonné DIAMA

Source : L’ESSOR
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