Dans cette interview, Dr Aly Tounkara, Directeur du Centre des Etudes Sécuritaires et Stratégiques au Sahel (CE3S) livre son analyse sur les raisons qui pourraient pousser un Etat comme le Mali à explorer la collaboration avec d’autres partenaires dans le cadre de la lutte contre l’insecurité. Aussi, il précise que certaines puissances militaires ont déjà eu recours à des mercenaires dans la lutte contre les groupes radicaux violents. Lisez plutôt.
La Nouvelle Voie du Mali : Quelles pourraient être les retombées d’un accord entre le Mali et un groupe de securité privée dans la lutte contre le terrorisme ?
Dr Aly Tounkara : Si l’accord venait à être signé en termes de retombées, on peut assister à court terme à une diminution nette du cycle de violence dans les régions dites Nord du Mali surtout parce que la particularité de ces régions est que la violence est le fait des différents groupes ou acteurs qui sont en accointance. On a, à la fois, des gens qui sont inscrits dans l’accord pour la paix et la réconciliation qu’ils soient de la CMA ou de la Plateforme mais qui sont parfois très proches voire complices des groupes terroristes. Il y a aussi des gens qui évolueraient dans la criminalité organisée. Donc, avec un tel dispositif sécuritaire d’appui, clairement, l’armée malienne pourrait avoir une ascendance sur ces groupes radicaux qui sévissent au Nord depuis 2012. Mais cela ne va pas constituer un tournant majeur pour le Centre du pays parce que l’insécurité y est fondue dans le local. Ce sont les mêmes habitants des villages concernés par les attaques terroristes qui rythment le quotidien des groupes violents au Centre du pays. Nous sommes plus en face de conflits locaux. Difficilement, l’arrivée de ce groupe pourrait changer la donne au Centre à court terme. Mais clairement, dans les régions du Nord, cette duplicité entre les acteurs de la terreur pourrait connaitre un recul net en termes de commissions d’actions violentes.
La Nouvelle Voie du Mali : S’il arrivait que le Mali signe un accord avec un groupe de securité privée, est-ce que cela constituerait une exclusivité malienne ?
Dr Aly Tounkara : Il y a de la complexité autour de l’accord pour la paix et la réconciliation parce qu’il y a une présence onusienne à travers la Minusma, de même que celle de la Force française Barkhane. Ce sont ces deux acteurs qui susciteraient davantage de bruits autour de la signature d’un tel accord. Mais quand on questionne même les résultats récents des armées étrangères en l’occurrence américaine dans la guerre en Afghanistan et en Irak, on se rend compte que ces deux interventions américaines se sont appuyées sérieusement à un niveau vraiment élevé sur des mercenaires. Mais personne n’a été scandalisé parce que ce sont les Américains. On peut nous dire qu’en France, il n’y a pas de sociétés de mercenaires. Mais en France, il y a pas mal des sociétés privées de securité qui ne comprennent que des anciens officiers, des anciens militaires ou même des militaires partis à la retraite anticipée mais qui sont toujours actifs. Ils opèrent dans pas mal de circonstances hors des frontières de la France. Donc, solliciter un groupe de securité privée n’a rien de nouveau dans ces guerres qui sont déclenchées contre les groupes radicaux violents. Les Etats-Unis qui sont à la limite, les précurseurs de cette lutte contre les groupes radicaux violents utilisent le plus, les mercenaires dans la lutte contre le terrorisme.
La Nouvelle Voie du Mali : Qu’est-ce qui peut expliquer l’attitude de la France sur la question ?
Dr Aly Tounkara : L’attitude angoissée de la France à l’annonce de cet accord entre le gouvernement du Mali et ce groupe privée de securité russe est compréhensible. Une fois que la signature venait à être effective, trois éléments sont à mettre en relief. Le premier élément est que clairement, le plan qu’a certainement la France dans le Sahel en termes de lutte contre les groupes radicaux violents, de préservation des intérêts, des industries ou des entreprises françaises, de lutte contre la migration clandestine en passant par son positionnement à l’échelle internationale, seraient contestés avec la venue de ce groupe privé. Donc naturellement, la France ne peut pas rester indifférente à une telle annonce. Ce qui expliquerait pourquoi, elle anticiperait avant toute éventuelle signature. De la même manière, depuis l’annonce du président Emmanuel Macron par rapport à une restructuration de l’Armée française sans impliquer réellement les pays du Sahel dont le Mali, cela a clairement suscité cette envie auprès de l’élite militaire malienne non seulement de multiplier les partenariats avec d’autres puissances militaires, mais aussi de se prémunir d’éventuels vides sécuritaires qui seraient laissés par la France avec un départ prématuré. Ce sont ces raisons, entre autres, qui font que l’élite militaire malienne aujourd’hui a la ferme conviction qu’on ne peut plus compter sur la France. Même si elle reste, elle ne peut pas changer son orientation. Aussi, la France accepterait difficilement à ce qu’il y ait un commandement commun pour traquer les groupes radicaux violents. Egalement, ce pays accepterait difficilement de se soumettre au dictat de l’état-major malien. Donc, ce sont ces tares que l’élite militaire malienne observe impuissamment vis-à-vis de la France qui l’amèneraient à aller vers ce groupe privé de securité.
La Nouvelle Voie du Mali : Qu’est-ce qui pourrait changer en cas de signature d’un accord entre le Mali et ce groupe privé de securité ?
Dr Aly Tounkara : En cas de signature, à coup sûr, l’état-major du Mali pourrait compter sur la soumission de ce groupe à ses ordres. Ce groupe va clairement opérer sous les ordres du commandement malien et n’aura pas un autre agenda différent de celui du Mali parce qu’il va évoluer sous le dictat des autorités maliennes. Ce sont ces raisons, entre autres, qui font que la sollicitation d’un groupe de securité privée se trouve sur toutes les lèvres. Mais il faut rappeler qu’un Etat souverain ne peut pas faire venir un groupe sur son territoire sans s’inscrire dans la dynamique des Nations unies notamment la Minusma. Donc, la Russie officiellement présente au Mali ne peut l’être que dans le camp de la Minusma. Or, ce que les autorités militaires maliennes voudraient aujourd’hui, c’est d’avoir un partenaire avec qui les horizons seront définis de concert, les missions à accomplir arrêtées de concert, les finalités et les victoires remportées communes au Mali et à ce partenaire. Toutes ces raisons font qu’aujourd’hui, Paris se voit très menacé par Bamako. L’élite militaire est aussi consciente que Paris ne va jamais changer de posture en termes de coopération, d’acceptation du dictat malien ou d’aller vers un commandement commun. C’est la raison de tous ces bruits diplomatiques sur la question.