Le président de la république, El hadj Ibrahim Boubacar Keita a décrété 2014, la première année de son quinquennat, année de lutte contre la corruption. Il n’a pas mis du temps à joindre l’acte à la parole. En moins de 6 mois, des magistrats et auxiliaires de justice ont été arrêtés (de mémoire de malien, cela était impossible voire impensable par le passé) ainsi que des responsables de l’administration publique et des banquiers, dans la lutte contre la corruption. Mais le président lui-même, ne risque-t-il pas d’être éclaboussé dans une affaire de blanchiment d’argent outre-manche ? En tout cas, le quotidien français Le Monde, dans sa livraison du vendredi 28 mars, l’a cité nommément dans l’affaire Tomi, du nom de cet homme d’affaire français qui a maille à partir avec la justice de son pays.
L’affaire qui ne fait que commencer a fait réagir la présidence de la république du Mali, par la voix du porte parole du gouvernement qui a lu le communiqué. « Cet article vise à salir l’honneur d’un homme, Ibrahim Boubacar KEÏTA, dont les valeurs d’intégrité et de rigueur morale n’ont jamais été remises en cause, et ce par qui que ce soit. Mais au- delà de la personne du Chef de l’Etat et de l’institution qu’il incarne, il veut jeter le discrédit sur les efforts inlassables de toute une nation pour sortir d’une crise sans précédent», a indiqué le communiqué. In fine, il précise « C’est pourquoi, ayant pris toute la mesure de cet article, le Chef de l’Etat a pris l’attache d’avocats malien et français, afin d’étudier toutes les suites judiciaires possibles, y compris en termes de mesures urgentes et à titre conservatoire».
Les révélations du journal le Monde
« Avril 2012. Par un bel après-midi printanier, un homme en costume azur sort du restaurant parisien huppé La Maison de la truffe, escorté par ses gorilles. C’est IBK. Il serre dans ses bras un Michel Tomi en petite forme. Atteint d’une sclérose en plaques, il se déplace en fauteuil roulant. Son lieutenant, Jean-Luc Codaccioni, dit « Johnny », est également présent. Les trois hommes ne sont pas seuls : les policiers, en planque, mitraillent la scène au téléobjectif. M. Tomi sait entretenir ses amitiés. Il fournit des vêtements de marque au futur président malien, paie ses séjours à l’hôtel parisien La Réserve, met à sa disposition des avions pour sa campagne présidentielle – M. Tomi possède deux compagnies aériennes, Afrijet et Gabon Airlines.
Fin juillet 2013, la police judiciaire est saisie par les juges Tournaire et Robert. Une petite équipe travaille dans le secret. Au sein de la direction centrale de la PJ, l’enquête provoque des dissensions : le clan Tomi a des amis dans la maison, comme dans le monde politique. Placé sur écoute, M. Tomi est bavard au téléphone. Il discute avec ses hommes de main, chargés de rapatrier l’argent en France. Le nom d’IBK revient souvent. M. Tomi est d’ailleurs présent à la cérémonie d’intronisation du nouveau chef d’Etat malien, à Bamako, en septembre 2013. Dans un coin, pour ne pas se faire remarquer.
En décembre 2013, en marge d’un sommet africain qui se tient à Paris, IBK effectue un déplacement privé à Marseille, où il est pris en main par les hommes de M. Tomi. Celui-ci multiplie les séjours dans la cité phocéenne : il se rend deux fois par mois à l’hôpital de la Timone. Plus récemment, du 8 au 10 février, M. Tomi héberge son ami, tous frais payés, dans une suite du palace parisien le Royal Monceau. Il lui procure aussi des véhicules haut de gamme. Il s’occupe même de sa sécurité. » Et d’ajouter « Fin 2013, il contacte ainsi Bernard Squarcini, l’ancien patron de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), proche de Nicolas Sarkozy et débarqué par le pouvoir socialiste mi-2012. M. Squarcini est désormais consultant en sécurité dans le privé. M. Tomi, qui connaît bien l’ex-chef du contre-espionnage, le sollicite pour organiser la protection de son ami IBK. Les enquêteurs s’interrogent sur les relations entre M. Tomi et M. Squarcini. Le demi-frère de M. Tomi travaille d’ailleurs à la DCRI – il a été recalé par la PJ en raison de son patronyme sulfureux…
« Il fallait sauver le soldat IBK, protégé par la France, justifie M. Squarcini au Monde. Mais je ne fais pas d’affaires avec Tomi ! Ce n’est pas un ami. En revanche, il a des liens privilégiés avec un commandant de la police judiciaire… »
L’enquête va maintenant conduire les policiers à plonger au cœur de l’empire Tomi. Selon les services de renseignement, il est depuis 2009 l’unique détenteur d’une autorisation d’ouverture de casinos à Bamako, où il a créé la salle de jeux Fortune’s club. D’après les enquêteurs, IBK y détiendrait des parts. M. Tomi reproduit partout le modus operandi qui lui a si bien réussi au Gabon, où son groupe est basé et emploie… 40 000 personnes ! Fort de ses relations privilégiées avec l’ex-président Omar Bongo, mort en 2012, il a su faire fructifier ses intérêts. Il possède le PMU local, a empoché, en 2010, 10 % de la vente à l’Etat gabonais pour 16 millions d’euros de quatre vedettes de surveillance maritime, sans compter des milliers de logements en construction. Son notaire au Gabon ? Le propre frère du président Bongo… »
Pourquoi maintenant ?
La question reste entière, car cet article du Monde intervient seulement après 6 mois de présidence du président IBK, au moment où il se trouvait avec ses pairs de la sous-région lors du sommet de la CEDEAO en Côte d’Ivoire. En tout cas, la balle se trouve désormais dans le camp du président IBK, qui doit tirer cette affaire au clair.
Amadou Maïga