La mise en œuvre du protocole d’accord d’octobre 2011 ; le relèvement de la valeur du point d’indice, et du SMIG ; l’augmentation du taux des allocations familiales ; la maîtrise du prix des produits de première nécessité ; la relecture des contrats miniers ; tels sont entre autres les points de revendications de l’Union nationale des Travailleurs du Mali (Untm) qui fondent le préavis de grève déposé par la centrale syndicale pour les 21 et 22 août prochains.
Dans une interview exclusive qu’il nous accorde, le secrétaire général adjoint de l’Untm, Maouloud Ben Kattra, revient largement sur ces points de discorde (et bien d’autres) entre la centrale syndicale et le gouvernement Mara.
L’Aube : L’Untm a tenu son 12è congrès il y a cinq mois. La centrale syndicale menace déjà d’aller en grève les 21 et 22 août prochains. Pourquoi elle passe à l’action en ce moment précis?
Maouloud Ben Kattra : D’ailleurs, nous avons attendu tout ce temps pour donner la chance au dialogue et à la négociation. De la fin de notre congrès à nos jours, jamais nous n’avons été rapprochés par le gouvernement autour du protocole que nous avons signé en octobre 2011 avec le gouvernement d’ATT. Nous avions levé le pied à cause du contexte dans lequel notre pays se trouvait à l’époque.
Aussi, nous avons attendu pendant tout ce temps pour que le gouvernement et le Conseil national du patronat du Mali réagissent par rapport aux résolutions de notre congrès et à la plateforme revendicative issue de ces résolutions. Nous n’avons été rapprochés ni par le patronat, ni par le gouvernement pour qu’une commission soit mise en place pour éventuellement discuter, dans le cadre du dialogue et des négociations. Nous avons alerté l’opinion nationale et internationale à travers une conférence de presse. Mais, jusque là, nos deux partenaires n’ont réagi. Donc, la loi prévoit qu’en cas de volonté manifeste de ne pas négocier autour de nos préoccupations, on dépose un préavis de grève. Le préavis de grève des 21 et 22 août vise donc à les obliger à revenir autour de la table.
Quelles sont les revendications de l’Untm?
Le premier point porte sur la mise en œuvre du protocole d’accord d’octobre 2011 pour l’éteindre définitivement.
C’est à dire ?
Cela veut dire que ce premier point concerne un accord conclu, en octobre 2011, entre le gouvernement d’ATT le patronat et l’Untm. Pour nous, il ne sera ni discuté, ni renégocié. Il doit être mis en œuvre. C’est quand il est mis en œuvre qu’il va être éteint.
En second point, il s’agit du relèvement significatif de la valeur du point d’indice.
Quel est le taux que vous proposez?
Pour l’instant, nous gardons le secret. C’est au cours des discussions que nous allons le révéler. Donc, vous le saurez au fur et à mesure des négociations.
Les autres points de revendications ?
Un autre point concerne la diminution du taux de l’impôt sur les traitements et les salaires (ITS). Si vous êtes salariés du secteur privé, ce qu’on vous coupe c’est trop. C’est encore pire dans le secteur public. Nous voulons donc que l’ITS soit diminué.
Ensuite, nous demandons le relèvement du salaire minimum inter professionnel garanti (SMIG). Le SMIG tourne autour de 28 000 FCFA. D’ailleurs, beaucoup de travailleurs sont payés en dessous de ce salaire de base. Ce qui n’est pas du tout normal. Dans la sous région, en Côte d’ivoire, le SMIG avoisine les 60 000 FCFA. Ce qui équivaut au salaire d’un salarié malien.
Nous avons demandé aussi l’augmentation du taux des allocations familiales. Les allocations familiales sont à 2000 FCFA par enfant. Or, tout le monde sait l’énergie qu’on fait pour nos enfants.
A partir de quand l’UNTM a-t-elle obtenu ce taux de 2000 F CFA d’allocation par enfant?
C’est en 2007 que nous avons obtenu ce taux de 2000 F par enfant qui était de 1000 F par enfant. Mais aujourd’hui, compte tenu du coût de la vie, on veut qu’il soit encore augmenté.
Nous avions demandé également la modernisation et la sécurisation de l’administration générale. Notre administration générale, surtout dans le secteur public souffre du manque de logistique, de technique, et de ressources humaines et financières conséquentes. Nous voulons qu’il y ait un vaste programme par rapport à l’administration publique, pour que les travailleurs qui s’occupent de la gestion quotidienne des salariés et les travailleurs de façon générale puissent exercer dans des conditions décentes.
Tournez un peu dans les administrations publiques, certains dossiers de l’administration sont par terre, avec des armoires métalliques, des vieilles machines et du personnel non qualifié. Donc, il faut revoir de façon globale tout ce contenu.
Nous avons aussi demandé la révision à la hausse du salaire au niveau des EPA et des EPIC, qui ont généralement une grille qui est propre à eux. Mais, on ne parle jamais d’augmentation générale des salaires.
Nous avons demandé aussi non seulement pour les travailleurs, mais aussi les citoyens de façon générale, la baisse des loyers des maisons à usage d’habitation. Vous savez bien qu’avec trois ou quatre pièces à Bamako, dans n’importe quel quartier, vous payez 50 000 F ou 60 000 FCFA. Dans la sous région, cela est réglementé. Compte tenu du faible niveau de vie des citoyens et des travailleurs, il faut que le gouvernement réglemente les locations des maisons à usagers d’habitation dans toute la République du Mali. Au Sénégal, des mesures politiques ont été prises par les autorités. Pourquoi pas au Mali ?
Aussi, nous avons demandé la baisse des tarifs d’électricité. L’Untm a conclu, en 2007, un accord avec le gouvernement et dans lequel celui-ci s’est engagé à baisser les tarifs de l’électricité. A notre grande surprise, ce gouvernement qui arrive, est venu un matin pour nous dire qu’il a l’intention d’augmenter les tarifs d’électricité, selon que vous soyez opérateur économique, travailleur, chef d’entreprise…Nous avons été surpris et nous l’avons dénoncé. Ce point concerne non seulement les travailleurs mais aussi les entreprises. On ne peut pas encourager les entreprises, encourager le développement industriel, et que le coût de l’électricité soit cher. Mieux, plus on augmente, on va augmenter beaucoup d’autres choses qui vont influer sur la poche du citoyen et des travailleurs.
Nous avons demandé également la maîtrise du prix des produits de première nécessité. On fait beaucoup de boucan et de politique autour de ça, mais jusqu’à présent, le marché n’est pas maîtrisé. Il faut absolument qu’il y ait une volonté affichée pour que les prix soient maîtrisés sur le marché. On n’est pas contre le libéralisme, mais il y a un libéralisme sauvage qui est entretenu sur le marché, par rapport aux consommateurs d’une façon générale et aux travailleurs de façon particulière.
Nous avons demandé la relecture de tous les contrats miniers. On sait que dans nos régions, les mines favorisent beaucoup de miniers, de chefs d’entreprises, de multinationales, et d’opérateurs miniers. On sait que l’or brille au Mali mais il ne brille pas pour les Maliens ; il ne brille pas pour les salariés ; il ne brille pas pour les localités dans lesquelles on exploite cet or. L’or n’est qu’un exemple. Mais il y a les autres ressources. Il faut donc qu’on mette de l’ordre. Il faut qu’on sache quelle est la base des contrats ? Combien gagne l’Etat ? A quoi ça sert en termes de recettes ? Nous sommes prêts à négocier avec le gouvernement pour que les choses soient claires dans ce domaine.
Voilà, entre autres points sur lesquels on va discuter dans les jours à venir.
Vous l’avez rappelé, en 2007, l’Untm a obtenu un accord avec le défunt gouvernement pour une diminution dans les tarifs d’électricité. Aujourd’hui, c’est tout le contraire que le pouvoir actuel envisage. Est-ce de la provocation?
Oui. Nous considérons à l’Untm que c’est une provocation et un manque de considération et une violation flagrante des termes de l’accord que nous avons signé avec le gouvernement d’ATT. Parce que le gouvernement est une continuité. Si un accord est conclu avec un gouvernement il y a dix ans, le gouvernement qui arrive aujourd’hui devrait respecter les termes de l’accord. Parce que les lois nationales sont au dessous des lois internationales. Les négociations que nous engageons avec le gouvernement, nous les tirons de la convention 87 de l’Organisation internationale du travail. Et cette convention internationale du travail qui présage les négociations et le dialogue sociale entre le gouvernement et nous, nous devons respecter les termes de tout accord conclu dans ce cadre.
Pour la première fois, autant que je m’en souvienne, on voit l’Untm brandir une revendication comme la réglementation des bureaux de placement et des loyers des maisons à usagers d’habitation. L’Untm cherche t-elle à faire de la surenchère?
Pas du tout. Les années ne sont pas les mêmes, les moments ne sont pas les mêmes. Tous les points que nous avons mis dans notre préavis de grève, c’est après analyse approfondie d’une équipe technique de l’Union nationale des Travailleurs du Mali. Ce n’est pas du tout pour faire de la surenchère.
Les bureaux de placement, il y en a beaucoup aujourd’hui dans notre pays. Ces bureaux de placement sont entrain de faire le travail que doivent faire certains services de l’Etat. On sait ce qui les réglemente, mais les recrutements sont faits sur quelle base? Personne ne le sait. Dans le circuit, rentrent beaucoup plus d’enfants très proches de ceux qui sont au pouvoir que les enfants des paysans de Sikasso, d’Ansongo ou de Tombouctou. Il faudrait les revoir pour les remettre en conformité avec la réglementation en vigueur.
Pour la baisse des loyers, la majorité des travailleurs n’ont pas une prime de logement. Si le gouvernement s’engage à nous faire une prime de logement de 50 000, 60 000 ou 70 000 F CFA, il paie à notre place les locations, il n’y a pas de problème. Mais si on dit de le réglementer, c’est pour permettre au moins que ce que nous gagnons par mois puisse nous permettre de payer la location. Donc, c’est un point qui concerne beaucoup plus nous, les travailleurs que les citoyens. Si les citoyens trouvent leur compte dedans, tant mieux ; mais c’est une revendication syndicale, parce que nous sommes logés et nous payons le loyer à partir du salaire que le gouvernement nous donne. Si c’est trop pour nous, on demande de le réglementer.
Lors de la dernière conférence de presse de l’Untm, le secrétaire général a dénoncé l’attitude des nouvelles autorités qui ne veulent pas rencontrer votre bureau. Le ton de fermeté que vous affichez et la nature de certaines revendications, ne cachent-ils pas une volonté de faire payer au gouvernement cette négligence vis-à-vis de votre équipe?
Aucun lien. Nous sommes une organisation syndicale, nous représentons le corps social. Notre pays traverse une crise socio politique et sécuritaire depuis trois années. Nous sommes les premiers d’abord à dénoncer le coup d’Etat. A l’époque, beaucoup de gens nous ont démarchés pour qu’on accepte le coup d’Etat, mais nous l’avons refusé. Et si on n’avait pas mis la barre haut, à l’époque, par rapport au coup d’Etat, beaucoup qui sont là aujourd’hui n’allaient pas être là.
Mais, nous avons dit par rapport aux questions et aux préoccupations qui engagent la vie de la nation, l’Union nationale des travailleurs du Mali devrait être consultée, devrait être écoutée. Mais, au fil des mois, toutes les composantes de la société sont reçues à la Primature, à la Présidence de la République, toutes sauf l’Union nationale des travailleurs du Mali, encore moins la Confédération syndicale des Travailleurs du Mali. Alors, nous tenons à dire que nous sommes des Maliens, nous représentons une composante de la nation malienne, nous ne sommes pas société civile, mais nous sommes de la société civile. Ceux-là qui représentent la société civile, on les a écoutés ; c’est des Ongs et des associations ; mais pas le syndicat qui est représenté, à l’intérieur du pays, de Kayes à Kidal.
Il n’y a pas un village où on ne trouve pas au moins un travailleur fonctionnaire ; il n’y a pas une région, un cercle ou un arrondissement où il n’y a pas les représentants de l’Untm. Sur une question qui engage la vie de la nation, les représentants des travailleurs doivent être écoutés. Mais mieux, ce n’est pas parce que nous voulions qu’ils viennent vers nous. Nous avons nous-mêmes demandé à aller vers eux. Nous avons écrit au président de la République, au lendemain de notre congrès pour au moins le rencontrer, le féliciter, pour lui dire tout notre accompagnement parce qu’il est le président de tous les Maliens. Aucune réponse. Nous avons marché ici pour condamner ce qui s’est passé à Kidal, pour soutenir le gouvernement, dénoncer le Mnla, dire que la souveraineté de Kidal doit être de mise pour le Mali.
Nous l’avons fait, nous sommes allés remettre une déclaration au Premier ministre et nous lui avons dit que pour toutes les concertations, d’écrire également à l’Untm en rencontrant la société civile. Jamais, il ne l’a fait. C’est un constat amer. Nous savons ce que nous représentons, et c’est notre droit de réclamer également que nous soyons consultés pour les questions liant la vie de la nation.
Et pour les pourparlers d’Alger, est-ce que là au moins on a associé des représentants de l’Untm?
Non. On ne nous a même pas rapprochés pour nous faire un compte rendu tel qu’on l’a fait pour les autres structures. Pourtant, à Koulouba, on a vu défiler les partis politiques, les institutions, la société civile, les religieux. Mais point d’UNTM. Alors, pourquoi ? Mais, notre préavis n’est pas du tout lié à ça.
Si le gouvernement ne réagit pas dans le sens que vous souhaitez, quelle sera la suite ?
La suite, c’est que nous allons analyser. Si le gouvernement, après la grève, est disponible à nous écouter dans le cadre du dialogue pour donner satisfaction aux points dont on aura discuté avec eux, au cours du préavis de grève, il n’y a pas de problème. Mais, si la même volonté manifeste de refuser de négocier ou de nous faire des propositions concrètes persiste, nous irons encore à une autre grève ; cette fois-ci de trois, quatre ou cinq jours. Ainsi de suite. Et à chaque fin d’étape d’une grève, nous analyserons. Et nous aviserons.
Réalisée par Oumar Diamoye