Dans l’entretien exclusif qu’il a accordé à notre envoyé spécial à Alger, Abdoulaye Diop se veut rassurant. En dépit des » petits incidents » ayant émaillé la rencontre, le dialogue est maintenu entre représentants du gouvernement et ceux des groupes armés et l’engagement de parvenir à la paix perceptible chez ces derniers.
Il rappelle toutefois que ce dialogue se déroule dans les limites de la Constitution malienne et s’articule autour des principes clé prescrits par le président de la République que sont le respect de l’intégrité territoriale du Mali, l’unité nationale, la forme laïque et républicaine de l’Etat. Toutes choses auxquelles les mouvements ont souscrit en signant l’accord de Ouagadougou et la feuille de route d’Alger.
L’Indépendant : Plus d’une semaine après la fin de l’audition de la société civile, les négociations directes entre le gouvernement et les groupes armés n’ont toujours pas démarré. Quelles sont les raisons de ce retard ?
Abdoulaye DIOP : Comme vous le savez, les négociations ont commencé suivant le calendrier initial prévu. Nous sommes venus ici depuis le 1er septembre. Et la première semaine a été consacrée à l’audition des représentants des communautés et de la société civile de toutes les parties impliquées. Ces auditions se sont bien déroulées au cours desquelles il y a eu des contributions extrêmement positives qui ont permis d’enrichir les débats. A l’issue de cette première semaine, il y avait quand même un travail d’organisation à faire avec la médiation pour pouvoir sortir les éléments à retenir par rapport à cette première phase.
La deuxième phase, comme vous le savez, a été engagée il y a trois jours (15 septembre). Les travaux à ce niveau ont commencé avec les groupes de négociation et les discussions avancent bien. Des idées sont mises sur la table par les différentes parties et la médiation est en train de faire son travail pour rapprocher les points de vue des uns et des autres.
Certains groupes armés participant à ces pourparlers ont signé peu avant le début des travaux, un protocole d’entente où ils réclament le fédéralisme et limitent les négociations aux seuls signataires de ce document. Ne pensez-vous pas qu’une telle attitude est de nature à entraver le processus en cours, car ne respectant pas les accords antérieurs et la feuille de route de juillet dernier ?
Ce qu’il faut retenir, c’est que nous sommes dans le cadre d’un processus de négociation qui, par définition, appelle chacune des parties à exposer ses idées. C’est donc cet exercice qui est en cours. Ce qui nous semble également important, c’est que la partie malienne est venue à ce processus avec des indications très claires. Nous avons reçu des directives du président de la République, Ibrahim Boubacar Kéïta qui, lui-même, est fortement engagé dans ce processus mais il l’a situé dans le cadre d’un certain nombre de principes clés. Toute discussion doit s’inscrire dans le cadre de la Constitution du Mali. Et à l’intérieur de celle-ci, il est important que les principes d’intégrité territoriale du pays, de la forme laïque et républicaine de l’Etat, de la souveraineté du pays soient respectés par tous. Ceux-ci ont été acceptés par nos frères et sœurs des mouvements dans le cadre de l’accord préliminaire de Ouagadougou mais aussi de la feuille de route qui a été signée, en juillet dernier, ici même à Alger. Nous estimons que toutes les discussions doivent se faire dans ce cadre et le Mali est pleinement disposé à respecter tous les engagements pris dans le cadre de ce processus. Il faut que chacun se conforme aux engagements déjà pris.
Donc, nous venons à ce processus très ouverts et nous sommes prêts à explorer toutes les options qui s’inscrivent dans le cadre des principes cités plus haut. Mais, à l’intérieur de cela, il y a énormément de possibilités qui sont offertes tant sur le plan politico-institutionnel que sur le plan des mesures à prendre dans le domaine de la sécurité et de la défense ainsi que sur les questions de développement. Nous souhaitons avoir une conversation avec nos frères et sœurs des mouvements autour de ces préoccupations et à l’intérieur de ces principes qui ont été acceptés par tous.
Aujourd’hui que certains d’entre eux boycottent les séances de travail à cause de la présence de certains mouvements qu’ils jugent non belligérants et non signataires dudit protocole, y a-t-il encore de l’espoir pour sauver les négociations ?
C’est trop dire de parler de boycott. Je rappelle que nous sommes dans le cadre d’un processus complexe et difficile. Mais le plus important, c’est que chacun comprenne que la paix pour nous n’est pas une option ni un choix. Nous sommes obligés de rechercher la paix pour donner du confort à chaque Malien et à chaque Malienne. Ce qu’il faut également noter, c’est que le dialogue n’est pas rompu entre nous et nos frères et sœurs des mouvements. Nous avons le sentiment que tout le monde demeure engagé dans le processus.
D’ailleurs, vous le savez, nous sommes tous logés au même endroit et nous nous côtoyons pratiquement tous les jours. Dans une négociation, il y a plusieurs types de formats. Il y a bien évidemment des sessions qui se font dans les salles et d’autres types d’interaction qui nous permettent toujours de dialoguer avec nos frères pour continuer à rechercher des solutions. Ce travail est donc en cours et nous n’avons jamais perdu espoir de surmonter ces difficultés pour parvenir à un accord. A notre avis, les négociations se poursuivent et nous avons l’espoir que nous arriverons à trouver un accord au bout du compte.
Quelle sera la riposte du camp gouvernemental à l’argumentaire développé par les groupes armés qui défendent le fédéralisme ?
Comme je vous l’ai expliqué, la réponse du gouvernement, est très simple. Les directives que nous avons reçues du président de la République et du gouvernement en venant dans ce processus, sont aussi claires. Les engagements que nous avons précédemment pris avec les mouvements armés respectent clairement la Constitution du Mali : l’intégrité territoriale et la forme laïque et républicaine de notre pays. Pour nous, il est important que toutes les propositions que nous allons examiner en tant que gouvernement s’inscrivent dans ce cadre. Nous n’avons pas de doute que nos frères, qui ont aussi pris ces engagements, s’inscriront dans le cadre de ce processus déjà convenu.
Un dernier mot pour clore le chapitre des pourparlers en cours
Il y a deux ou trois éléments qu’il ne faut pas perdre de vue. Nous sommes dans le cadre d’un processus qui est complexe et difficile mais chacun de nous peut être confiant qu’en tant que nation, nous avons aussi rencontré des difficultés, il y a eu des souffrances et même des guerres par le passé. Mais, en tant que nation, nous avons toujours réussi à surmonter ces épreuves et, cette fois-ci, nous pensons encore que nous tenons le bon bout. Et que nous allons y arriver. Mais, pour cela, il faut que chacun de nous fasse preuve de patience et de tolérance et rester confiant et engagé par rapport à l’aboutissement de ce processus.
Nous sommes dans un processus de paix et cela se fait à plusieurs étapes. La phase initiale du processus, qui était axée sur l’adoption d’une feuille de route, s’est très bien passée. Nous avons pu signer ce document qui réaffirme les principes de base chers aux Maliens et fixe un calendrier. Nous nous réjouissons que nos frères de la plateforme et de la coordination aient accepté de se joindre au gouvernement pour signer cette feuille de route. Nous sommes ainsi engagés dans la seconde phase de ces pourparlers directs dans le cadre des groupes de négociation. Et, cette seconde phase doit s’étaler sur huit semaines avec une interruption au bout de quatre semaines. Nous ne sommes qu’à la troisième semaine.
A l’expiration de la moitié de ce délai, soit au bout de quatre semaines, ce que nous espérons en terme de résultat c’est que chacune des parties ait l’occasion d’interagir avec l’autre, de mettre ses demandes et ses propositions sur la table et aussi donner à la médiation en cette période d’interruption le temps de travailler sur la base des propositions mises sur la table et faire un travail de rapprochement pour créer un maximum de convergence. Ce travail de la médiation sera soumis aux différentes parties au bout des quatre semaines lorsque nous allons revenir à la mi-octobre pour reprendre les discussions à ce niveau. Il faut donc que l’on comprenne que nous ne sommes qu’au début. L’important, c’est de savoir que nous sommes engagés. Le dialogue n’est pas rompu et nous sentons de la part de tout le monde, malgré les petits incidents qu’on voit ici et là, un engagement pour parvenir à la paix.
Vous avez récemment effectué une visite de travail à Moscou. Pouvez-vous nous en révéler l’objet ?
Cette visite était prévue de longue date et, pour des problèmes de calendrier, nous n’avons pas pu l’effectuer un peu plus tôt. Elle s’inscrit dans le cadre du dialogue bilatéral pour le renforcement de la coopération politique, économique et commerciale entre le Mali et la Russie. Vous savez que la Russie est un partenaire de longue date du Mali et un membre du conseil de sécurité des Nations Unies. A ce titre, la Russie est très intéressée par rapport à ce qui se passe dans notre pays et, en particulier, par ce processus de paix pour lequel nous sommes engagés. Nous avons partagé avec nos amis russes l’évolution de la situation au nord du pays et les négociations en cours à Alger. La Russie a d’ailleurs exprimé son plein appui à ce processus et sa volonté de pouvoir l’accompagner.
A côté de cela, nous avons également discuté du renforcement de la coopération bilatérale, en particulier dans un certain nombre de domaines comme l’économie et le commerce, la coopération militaire et culturelle. Vous savez que dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, la Russie et le Mali ont signé en 2009 un protocole d’entente entre les deux pays. Ma visite s’inscrivait dans ce cadre global que nous ne devons pas perdre de vue étant entendu que la Russie est un allié de longue date et que ce type de contact doit être régulier et situé dans le cadre du renforcement de la coopération qui est par définition multiforme.
Au regard de la situation, peut-on parler d’un renouveau de la diplomatie malienne?
La diplomatie n’est pas un outil isolé par définition. Elle ne peut que traduire la volonté du président de la République de favoriser un rayonnement du Mali et d’avoir un outil qui puisse aider à la préservation et la défense des intérêts fondamentaux du pays et attirer des pays, des amitiés et des ressources qui peuvent aider à développer le pays. Notre action se situe dans le cadre de cette vision qui a été définie par le président de la République pour engager et réussir un certain nombre de choses sur le terrain.
Depuis les évènements que notre pays a connus en 2012 et tous les soubresauts que cela a entrainés, aujourd’hui notre pays se présente de plus en plus comme un partenaire respecté et a repris sa coopération avec beaucoup de pays qui sont intéressés par le Mali. Nous avons actuellement des relations amicales très cordiales avec les pays voisins.
C’est dire que nous continuons à faire notre travail de rapprocher au maximum le Mali de ces pays amis mais aussi de continuer à renforcer notre dédicace par rapport à l’intégration africaine et à la défense des Maliens qui vivent dans d’autres pays et faire en sorte qu’ils puissent continuer à aider leur pays. Naturellement, l’outil diplomatique, à l’image de l’administration malienne, fait face à un certain nombre de défis dont nous devons être conscients. Et nous travaillons pour améliorer cet outil et les ressources humaines mises à sa disposition pour qu’elle soit à la hauteur de la mission que le président de la République et le gouvernement lui ont confiées.
Réalisé par Massiré DIOP, depuis Alger