Il y a deux ans, la localité a été le théâtre d’une bataille décisive qui donnera le top départ de la guerre de libération du Nord de notre pays, occupé par les islamistes et les indépendantistes depuis 2012. Aujourd’hui, la vie y a repris son cours normal. Mais les stigmates de la guerre sont toujours visibles sur les champs de bataille et présents dans les esprits
Cheveux hirsutes à l’arrière d’un crâne à moitié dégarni, manteau sans âge, le vieux Soungalo Dicko interrompt son entrevue avec un vieil homme et vient à la rencontre des visiteurs. Ce gardien de l’antenne de la Sotelma, qui vit au pied de l’imposant pylône, a assisté au plus près à la bataille de Konna, il y a deux ans. « Je n’ai pas bougé d’ici », confirme-t-il avec un sourire édenté. Pourtant l’antenne de la Sotelma n’est qu’à quelques dizaines de mètres du bureau de la sous-préfecture où campaient nos soldats et où les djihadistes aussi ont séjourné. Carcasses calcinées de véhicules militaires, sol jonché de douilles de munitions de tous calibres, bâtiments taillés en pièces… les affrontements ont visiblement été d’une rare violence. Les impacts des projectiles de gros calibres sur les murs de la cabane du gardien, donnent une idée du danger mortel que l’homme a bravé. « Quand les armes tonnaient, on aurait dit que le battant de ma porte s’envolait. »
Ne lui demandez surtout pas s’il avait eu peur. « Jamais ! », proteste ce Dogon qui fait remarquer qu’il ne porte pas le nom de famille Dicko par hasard. « Dicko, ce sont les vaillants guerriers sans peur », précise-t-il.
Tel un ancien combattant narrant des scènes de guerre, Soungalo Dicko est intarissable sur les péripéties des événements qui ont rendu célèbre la petite ville de Konna à travers le monde. « Quand les djihadistes sont arrivés, leurs chefs ont occupé la sous-préfecture. Ils sont venus ici (ndlr au pied de l’antenne) et voulaient me tuer. Je leur ai dit : ‘vous pouvez me tuer mais tuer un vieillard n’est pas un acte de bravoure’. Ils ont dit : ‘ça c’est vrai’. Et ils m’ont laissé la vie sauve », se souvient Soungalo Dicko qui a ainsi réussi à sauver sa propre tête mais pas celle d’un soldat qu’il avait caché chez lui. Ce militaire a été égorgé sous ses yeux. Soungalo Dicko en garde un souvenir ému et dit avoir été estomaqué par le comportement bestial des envahisseurs. « Ces gens n’ont aucun respect pour la vie humaine », juge-t-il.
Au contact des djihadistes qui avaient investi Konna, le vieux Soungalo a eu l’impression d’avoir affaire à une horde de bêtes sauvages dressées pour tuer. « Leur pilosité abondante et leur odeur caractéristique font penser à un troupeau de bêtes. Certains avaient la barbe jusqu’au thorax. Et puis, ils se disent musulmans mais ils se saoulaient avec de l’eau de vie à base de dattes fermentées », se souvient Soungalo Dicko.
Le vieil homme souligne la bravoure et l’ardeur au combat des défenseurs de la ville de Konna. Mais, confirme-t-il, « nos soldats ne pouvaient pas arrêter ces gens mieux armés et plus nombreux ». Soungalo souligne aussi que les envahisseurs ont fait montre d’une maîtrise consommée de l’art militaire pour enfoncer nos lignes de défense. « Certains se sont cachés au milieu d’un troupeau de bœufs pour pénétrer dans la ville », témoigne-t-il en se courbant pour mimer le stratagème des combattants camouflés parmi les animaux.
Tout comme Soungalo Dicko, les habitants de Konna qui ont vécu les combats, en gardent encore un souvenir très vif. Le traumatisme les hante toujours. « Même aujourd’hui, si une porte claque, certains sursautent », résume Amadou Guindo, le 3è adjoint du maire de la ville. Il se souvient combien le fracas des armes lourdes et le vacarme impressionnant des obus étaient effrayants. Le sifflement strident et incessant des balles tout aussi inquiétant. « Personne ne pensait sortir vivant de ces moments que nul ne souhaiterait même à son ennemi. »
Chez les habitants, il y a comme une envie irrépressible de raconter ce qu’ils ont vécu. D’après Amadou Guindo, ce furent des moments d’enfer. Lui aussi ne résiste pas à la tentation de se remémorer spontanément les scènes qu’il a vécues. Il se souvient ainsi que dans la matinée du 11 janvier 2013, les habitants étaient sortis dans les rues pour applaudir nos soldats qui paradaient en ville en signe de victoire. « Nous pensions que c’était fini. Que nos militaires avaient réussi à repousser les envahisseurs. Parce que la veille de 18 heures jusqu’à 2 heures du matin, nous avons entendu les bruits des combats en dehors de la ville », témoigne notre interlocuteur.
Mais au grand désarroi des populations, les tirs ont repris vers 10 heures. Dans l’après-midi, les combats ont cessé. « Nous avons pensé que nos soldats avaient encore pris le dessus. Mais quelle ne fut notre surprise d’entendre des « Allah Akbar » dans les rues de la ville. C’était la consternation », raconte le secrétaire général de la mairie, Mahamadou Guindo.
CHASSE A L’HOMME. Les envahisseurs ont alors investi la sous-préfecture et le port de pêche où campaient nos soldats. « Ils sont allés voir l’imam de la grande mosquée pour lui dire que demain, il sera installé comme autorité suprême de la ville et qu’il n’y avait plus d’autres autorités. L’imam leur a répondu : Que Dieu nous montre demain », témoigne Mahamadou Guindo. Si le leader religieux n’a montré aucune envie de s’embarquer dans cette aventure, certains habitants de la ville n’ont pas hésité à manifester leur soutien aux djihadistes. « Ces gens clamaient : ‘la vérité est arrivée aujourd’hui’. Certains ont même paradé à motos dans les rues », se souvient Mahamadou Guindo.
Entre-temps, les nouveaux maîtres de la ville ont lancé une chasse à l’homme contre tous ceux qui représentaient l’autorité de l’Etat. Leurs domiciles ont été fouillés de fond en comble, en vain. Ils avaient réussi à s’échapper en traversant le fleuve Niger. Ils sont restés sur l’autre rive du cours d’eau pendant plus d’une semaine.
Dans la soirée du 11 janvier, beaucoup de gens ont traversé le fleuve de peur, à la fois, des exactions des djihadistes et des rumeurs de bombardements imminents de l’armée française. « Les gens craignaient les bombardements mais ils avaient peur aussi de subir les atrocités auxquelles les djihadistes ont soumis les populations des villes qu’ils occupaient déjà », explique le 3è adjoint du maire. Beaucoup de gens sont morts dans le tohubohu de cette traversée nocturne du fleuve. « Les gens ont fui leurs maisons dans la précipitation en laissant les portes ouvertes. Ils se sont fait dévaliser par les voleurs », témoigne le secrétaire général de la mairie.
Les djihadistes ont à peine eu le temps d’asseoir leur autorité que les bombardements des hélicoptères maliens (tôt le matin) puis des appareils de l’armée française (dans l’après-midi) ont commencé. L’aviation française a frappé le port de pêche et la sous-préfecture où les djihadistes bivouaquaient en nombre. Une partie des installations flambant neuf du Projet d’appui au développement de la pêche continentale (PADEPECHE) a été pulvérisée par les bombes. « Quand on venait ici quelques jours après le bombardement, on était obligé de se boucher le nez à cause de l’odeur pestilentielle des cadavres ensevelis sous les décombres », raconte un habitué des lieux. Aujourd’hui, au port de pêche, les cratères des trois bombes larguées par l’aviation française restent encore béants.
Ces cicatrices n’empêchent pas les camions frigorifiques de venir faire le plein de poissons convoyés par des pirogues. De grosses sommes d’argent changent de mains. Les affaires semblent bien florissantes au milieu des ruines des bâtiments. Des lavandières traversent les décombres au mépris du danger des restes d’explosifs. « A présent, les lieux ne sont pas totalement déminés », confirme notre témoin.
Les frappes de l’armée française ont semé la panique parmi les djihadistes. « C’était le sauve-qui-peut. Ceux qui le pouvaient, ont sauté dans les véhicules. D’autres ont fui à pied. Certains ne savaient même pas par où passer », raconte Amadou Guindo en rapportant les témoignages des populations restées sur place. Il ajoute que des habitants lui ont raconté des scènes cocasses sur la panique qui a saisi les envahisseurs à l’arrivée des Français. « Des combattants apeurés ont voulu trouver refuge dans des familles. Quand ils pénétraient dans les familles, les habitants se cherchaient en ne sachant pas que les combattants aussi voulaient sauver leur peau. Cela donnait des scènes très cocasses », raconte l’élu communal.
L’intervention française a fait fuir les djihadistes. La débandade était totale. Si le gros de la troupe s’est éloigné rapidement, un petit contingent, visiblement privé de communication avec son commandement, a continué à camper pendant quelques jours dans les collines non loin de la ville. Des combattants venaient s’approvisionner en vivres de temps à autre au port de pêche. Ils ont finalement été chassés par l’armée avec l’appui des Français. C’est donc le 17 janvier 2013 que la zone de Konna a été définitivement débarrassée de la horde djihadiste.
Konna doit une fière chandelle à l’armée française. La reconnaissance des habitants à l’intervention française est visible un peu partout dans la ville. Divers endroits comme une aire de lavage de voitures, portent le nom de Damien Boiteux, le pilote français mort lors de la bataille de Konna. Sans compter sa statue qui trône à l’entrée de la ville et la rue qui porte son nom. A la mairie aussi, au secrétariat, les portraits du président français François Hollande et de Damien Boiteux côtoient ceux des différents maires. « Les visiteurs nous demandent souvent si nous sommes des Français quand ils voient le portait de François Hollande », plaisante le secrétaire général qui exprime sa gratitude à la France pour avoir accepté de voler au secours de notre pays pendant des moments extrêmement difficiles.
RESTES D’EXPLOSIFS. Aujourd’hui, la vie a repris son cours normal à Konna. Les habitants s’adonnent tranquillement à leurs occupations. Les grandes artères de la ville en latérite, bordées de commerces, sont animées. Même si ce n’est pas jeudi, le jour de la foire hebdomadaire où la ville accueille des milliers de forains venus non seulement des localités environnantes mais aussi de l’extérieur du pays.
KONNA RUEIci, les populations font essentiellement du commerce, de la pêche, de l’agriculture, de l’élevage. Ces activités sont visiblement d’un bon rapport. Konna présente l’aspect d’une ville relativement prospère. Des maisons de standing tout à fait respectable, accrochent le regard du visiteur. Située sur l’axe routier qui relie Bamako à Gao, à une cinquantaine de kilomètres de Mopti, la localité n’a rien d’un bled perdu de l’arrière-pays. Même si l’adduction d’eau est toujours sommaire et l’électricité aussi.
Si la ville a été relativement épargnée des destructions pendant les combats, les habitants estiment que les dommages économiques sont immenses. Mahamadou Guindo, le secrétaire général de la mairie, confirme que les activités économiques ont pâti de la crise à cause du déplacement massif des habitants vers les localités voisines pour fuir l’occupation djihadiste. « Les gens ont consommé les stocks de vivres et toutes les économies sont parties parce que les activités étaient à l’arrêt », explique-t-il, ajoutant que cela a provoqué un appauvrissement de la population. Du coup, le recouvrement des taxes est rendu difficile pour la mairie.
L’agriculture aussi a beaucoup souffert de la crise. Dans les zones exondées, les paysans ont dû abandonner les champs durant la campagne agricole de 2013. De peur d’être victimes des mines et obus abandonnés après les combats. « Les champs étaient infestés d’engins explosifs. Il y a eu beaucoup d’accidents quand les paysans ont voulu travailler dans leurs champs après la guerre. La Minusma a effectué un déminage mais à présent, il reste encore des explosifs sur le terrain », souligne le secrétaire général de la mairie qui révèle que certains paysans ont tout de même pu cultiver leurs champs lors de la campagne de 2014.
L’élevage a connu beaucoup de difficultés parce que les bergers étaient assimilés à des djihadistes depuis que ces derniers s’étaient mêlés à un troupeau pour pénétrer dans la ville lors de la bataille. De plus, les pâturages étaient parsemés de restes d’explosifs et l’insécurité a favorisé le vol de bétail. Au plus fort de la crise, il n’y a pas eu de marché pendant 2 mois, souligne Boubacar N’Douré, le président de la société coopérative de production animale et de gestion des marchés à bétail. Il se réjouit aujourd’hui que le marché à bétail de Konna accueille jusqu’à 1000 têtes par semaine. « Les marchands viennent des pays voisins, jusque du Nigeria, pour acheter des animaux », souligne-t-il.
DECEPTION. Les événements des 10 et 11 janvier 2013 ont fait la renommée de Konna. Du coup, un élan de solidarité a pris corps en faveur de la ville après la libération. Konna a reçu des centaines de visites de personnalités, d’ONG nationales et internationales. Tous étaient venus témoigner de leur soutien aux habitants meurtris par l’invasion djihadiste. Mais ces visites n’ont guère été suivies d’actes concrets. « C’est ce qui a été choquant pour nous », déplore le secrétaire général de la mairie qui précise que les visiteurs demandaient de présenter les besoins, de préciser les préoccupations. « Mais à l’arrivée, pas grand-chose », se désole notre interlocuteur. Il reconnaît que Lux développement a restauré la mairie endommagée par les occupants et fourni des équipements informatiques. La même ONG a offert des équipements au centre de santé. L’UNICEF a doté l’école de fournitures scolaires. L’Etat a construit une nouvelle sous-préfecture. D’autres ONG ont apporté des vivres. L’Etat aussi. Mais les quantités sont jugées insuffisantes. Le 3è adjoint révèle ainsi que les 10 tonnes apportées par l’Etat ont été distribuées dans 2 villages environnants parce que le tonnage était insignifiant à l’échelle de la ville de Konna qui compte plus de 20.000 habitants.
Les autorités communales déplorent le fait que Konna n’a pas bénéficié de retombées proportionnelles à sa renommée mondiale. Elles s’attendaient à un appui conséquent pour aider les populations à sortir du marasme dans lequel les événements les ont plongées. Ici, on estime que des ONG ont plutôt exploité le nom de la localité pour monter des projets sur les violences faites aux femmes, la résilience des populations. Mais à présent, pas l’ombre d’un début d’exécution. « Nous sommes déçus », lance Amadou Guindo qui ne cache pas qu’à la mairie, on n’est pas loin de prendre la décision d’éconduire les visiteurs qui viendraient demander les besoins des populations. L’exaspération n’est pas loin.
Mais n’est-ce pas étonnant que la mairie ne cherche pas à exploiter cette formidable renommée de sa ville ? Pourquoi ne pas entretenir la flamme du souvenir avec l’organisation de festivités annuelles de commémoration du 11 janvier ? Une telle manifestation pourrait drainer une fois par an du monde et des retombées financières à Konna.
Envoyés spéciaux
B. TOURE
A. SISSOKO
D. COULIBALY
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Kon-na : Aidons-nous
Le village de Konna fut créé en vers 1816 à son ancien emplacement (Konna-Hindé) par les Kemesso et les Kornio, qui reçurent plus tard une famille Kampo, venue de Tindirma (cercle de Diré).
Ce regroupement ainsi formé fut basé sur l’entraide sociale (kon-na en langue Bozo qui signifie « aidons-nous »). Le village prit par la suite le nom Konna. Vers 1818, Sékou Amadou, de passage pour Tombouctou, ordonna à ces trois clans de se déplacer vers l’est d’où l’actuel emplacement du village. Ils trouvèrent sur place une famille de bûcheron (les Gadiaga) qui tend à disparaitre.
Pendant la colonisation, Konna fut le chef-lieu du canton de Korondougou qui comptait six villages : Konna, Koana, Kotaka, Sensé, Sensé-ladji et Denga-Saré. Le village est un poste administratif depuis 1958-1959 et fut érigé en arrondissement en 1960 à l’indépendance avec la fusion des cantons de Konna, Borondougou et du Béoulaka, puis quelques villages du canton de Dialloubé qui sont : Koubi, Diantakaye, Ninga et Saré-Mama.
La commune de Konna fut créée en 1996. De nos jours, l’arrondissement de Konna compte 33 villages avec une population de 37.673 habitants. Les principales ethnies sont les Peulhs, les Bozos, les Markas, les Somonos, les Bambaras, les Bellas, les Garassas, les Sonrhaïs et les Samogos.
L’économie repose sur l’agriculture, l’élevage, la pêche, le commerce et l’artisanat. L’élevage, base des revenus de la population, est pratiqué dans tous les villages. La pêche aussi est une source de revenus importants pour les pêcheurs et leurs intermédiaires. Konna approvisionne Bamako, Sikasso et Sévaré en poisson. La construction d’un débarcadère par le PADEPECHE pour le traitement du poisson en est la parfaite illustration.
Le commerce est basé sur les produits de l’élevage, de l’agriculture, les produits manufacturés et de l’artisanat. L’artisanat repose sur les produits de la poterie, le tissage et la transformation du cuir.
B. TOURE