Les Grecs ont donné au monde la tragédie, la démocratie et la philosophie. Depuis dimanche, l’image d’Epinal portera aussi le visage fermé de ces jeunes dirigeants en bras de chemise, récusant la cravate comme pour mieux signifier leur rejet de la camisole de force bruxelloise. On savait pour le bras de fer entre Athènes et ses créanciers, on sentait que la relation arrivait à un tournant où elle passait ou cassait, on pressentait l’issue du référendum. Mais le coup de théâtre était possible. Car le non à Bruxelles portait à conséquence pour un peuple qui tire la langue depuis de nombreux mois. Il a surtout pour toutes les victimes de la religion libérale une terrible portée pédagogique : il leur indique la voie à suivre. Le suspens fut aussi haletant que le dénouement. Il ne faut toutefois pas crier au tsunami. La Grèce a besoin de l’Europe, elle a besoin des institutions de Bretton Woods et elle sait qu’elle ne peut vivre en autarcie. Quant à Bruxelles et à Washington, c’est vrai qu’Athènes est loin d’avoir le poids de Wall Street. Mais ils savent qu’il y a encore de la marge pour négocier et trouver le bon compromis surtout que c’est un peuple excédé qui est en train de leur tenir tête, au-delà de ses ministres frondeurs. Le Grexit serait un avatar extrême dont à la fois Athènes et Bruxelles seront les perdants. Tsipras sait qu’Ulysse est un mythe et que les odyssées solitaires ne peuvent mener loin dans un monde devenu village. Hollande et Merkel mobilisés et sans doute contrariés savent à leur tour que perdre la Grèce c’est perdre un peu du projet que porte l’Europe pour ses peuples. Les vrais enjeux sont ailleurs : c’est à dire dans la force de contagion de l’exemple grec, c’est-à-dire également dans la portée de l’austérité comme potion magique, c’est-à-dire enfin dans la nouvelle éthique de gouvernance fusionnelle peuples-dirigeants. Pour l’Europe aux générations politiques vieillissantes certes. Mais indiscutablement aussi et surtout pour l’Afrique aux élites gravement corrompues et frileuses.
Adam Thiam