Le 11 août 1965, le ministre algérien des Affaires étrangères, Abdel Aziz Bouteflika, boucle une visite de 24 heures dans notre pays. L’actuel président algérien qui dirigeait à l’époque la diplomatie de son pays, est arrivé à Bamako le 10 août dans le cadre d’une tournée sur les préparatifs de la Conférence afro-asiatique prévue à Alger le 5 novembre 1965. Le dirigeant algérien était venu défendre la tenue à cette date de la grand’messe de la solidarité afro-asiatique parce que le timing du rendez-vous d’Alger coïncidait avec celui du sommet de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) prévu à Accra.
Le chef de la diplomatie algérienne a souligné l’importance de deux grands événements en indiquant que le sommet de l’OUA avait une importance particulière pour la consolidation de l’unité africaine. « La conférence afro-asiatique doit se traduire, après Bandoeng, par une solidarité afro-asiatique plus agissante et un plan d’action plus efficace contre l’impérialisme, le colonialisme et le néo-colonialisme », a-t-il ajouté.
Dès son arrivée, Abdel Aziz Bouteflika a rappelé ses liens personnels particuliers avec notre pays. « Ma mission au Mali revêt un double aspect. Le premier est sans importance pour vous, mais d’une grande importance pour moi. C’est que je me retrouve dans un pays où j’ai déjà passé des heures absolument exaltantes, des moments qui n’ont pas fini de me marquer tant la fraternité qui entourait le peuple algérien, tant les circonstances qui m’ont amené ici à travailler avec tous les dirigeants et avec le peuple du Mali, m’ont laissé une impression profonde.
Le Mali est de ceux qui auront le plus soutenu la révolution algérienne depuis 1954 », soulignera Bouteflika qui avait auparavant séjourné dans notre pays pour servir de relais entre le pouvoir socialiste de Modibo Keita et le Front de libération nationale (FLN) qui ferraillait contre la France pour l’indépendance de l’Algérie. Abdel Aziz Bouteflika était venu cette fois-ci apporter un message du Conseil de la révolution et du gouvernement algériens destiné au président Modibo Keita.
« Nos liens ne sont pas simplement du voisinage, c’est une communauté de destin, le passé et le devenir étant absolument communs et liés de façon indéfectible », a-t-il insisté, estimant que les deux pays devaient faire plus d’efforts pour que les liens de coopération deviennent de plus en plus solides. Le chef de la diplomatie algérienne a eu un long entretien avec le président Modibo Keita, à l’issue duquel il a confié à la presse « la sérénité olympienne devant toutes les situations» de son hôte, avant de magnifier encore une fois l’excellente qualité des relations et le caractère identique des options des dirigeants des deux pays.
« Les révolutions socialistes en Algérie et au Mali se complètent naturellement et si heureusement », dira le chef de la diplomatie algérienne qui a estimé que ses « entretiens avec les dirigeants maliens devront permettre à l’OUA de suivre le chemin historique de son renforcement qui doit se traduire dans les faits par l’unité contre laquelle aucune force du mal dans le monde, impérialiste, colonialiste, néo-colonialiste ne pourra plus rien ».
Le dirigeant algérien a expliqué que son entretien avec le chef de l’Etat malien contribuera à la bonne organisation des deux grands rendez-vous des leaders africains. « Le président Modibo Keita m’a dit toute sa volonté de faire en sorte que la Conférence afro-asiatique, prévue le 5 novembre à Alger, puisse se tenir dans les conditions telles qu’elles traduisent dans les faits les aspirations profondes et combien légitimes de tous les peuples d’Afrique et d’Asie ».
Le communiqué publié à l’issue de la visite de Bouteflika, indique que les deux dirigeants ont insisté sur le succès du sommet de l’OUA à Accra dont la date doit être fixée de manière que la conférence d’Alger puisse se tenir dans les meilleures conditions. Le chevauchement des dates des deux conférences ne saurait constituer une pomme de discorde entre l’Algérie et le Ghana, a assuré Abdel Aziz Bouteflika.
« Les adversaires de l’unité africaine, les adversaires de l’Algérie et du Ghana ont essayé de donner des interprétations tendancieuses aux propositions qui ont été faites par le président N’Krumah quant au report du sommet de l’OUA. Les dates retenues pour les deux sommets ne doivent pas avoir une projection malheureuse l’une sur l’autre », soutiendra le chef de la diplomatie algérienne qui a retrouvé pour l’occasion des accents panafricanistes pour dénoncer « l’obstination du gouvernement de Ian Smith à instaurer en Rhodésie du Sud la tragique et honteuse situation imposée à nos frères d’Afrique du Sud au mépris des déclarations de l’ONU et des principes élémentaires de la dignité humaine ».
Il a rappelé avoir fustigé l’appui du Royaume-Uni au gouvernement raciste de Ian Smith devant le Conseil de sécurité en mai 1965, au nom de l’OUA. A l’époque, le Zimbabwe s’appelait Rhodésie du Sud par opposition à la Rhodésie du Nord, devenue la Zambie après l’indépendance. Avec notamment le soutien de l’OUA, le mouvement indépendantiste dirigé, notamment par Robert Mugabe a triomphé dans sa lutte contre le pouvoir raciste qui aspirait à faire perdurer l’accaparement des terres et des richesses du pays par la minorité blanche au détriment de la population noire et majoritaire. Le gouvernement de Ian Smith bénéficiait du soutien du Royaume-Uni, la puissance colonisatrice. Voilà qui explique l’inimitié tenace qui oppose encore aujourd’hui le vieux leader zimbabwéen au Royaume-Uni.
B. TOURE