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Centenaire de la naissance du Président Modibo Kéïta (1915-2015): Reconnaissance, Réhabilitation, Réconciliation, Renaissance.
Publié le mercredi 26 aout 2015  |  Le Républicain




Chronologie succincte sur la Fédération du Mali, par Cheick Oumar Diarrah.

Le 20 août 1960, éclatait la Fédération du Mali qui a été la première entité fédérale de l’Afrique
indépendante et dont le président Modibo Kéïta a été le principal acteur avec Léopold Sédar
Senghor. Malgré sa brève existence, la Fédération du Mali a joué un rôle important dans
l’histoire de l’Afrique postcoloniale, notamment, en accélérant le cours de l’évolution de
l’Afrique dite Francophone (AOF, AEF, Madagascar). Elle a imposé le débat sur l’unité de
l’Afrique et mis à nu le projet de balkanisation concocté par l’ancienne puissance coloniale.
Léopold Sédar Senghor, qui était, sans doute, le plus francophile des dirigeants de l’AOF,
dénonça le projet de balkanisation, comme suit: «Balkaniser l’AOF, c’est diviser
artificiellement ses huit territoires pour en faire des entités politiques, économiques et
culturelles qui n’ignorent pas la métropole mais s’ignorent entre elles, des entités sans réalité.
Car, c’est l’évidence, les frontières actuelles des territoires ne sont que les fruits des hasards
militaires et des intrigues des bureaux. Elles ne correspondent à aucune réalité: ni
géographique, ni économique, ni ethnique, ni linguistique».

Le président Modibo Kéïta et les dirigeants de l’US-RDA étaient partisans d’une entité fédérale
forte. Leur décision d’accepter la Communauté française, lors du référendum gaullien du 28
septembre 1958, s’expliquait par la volonté de maintenir l’unité de l’AOF. À cet égard, Modibo
Kéïta déclarait lors de la Troisième conférence de l’Union Soudanaise-RDA: «On a préféré
passer à travers le chemin de l’unité avant d’entreprendre la voie de l’indépendance, parce
qu’il est difficile de renoncer à l’indépendance pour les pays qui l’ont obtenue grâce à leurs
efforts […]. C’est difficile de disparaître afin de constituer un ensemble fédéral, une unique
nation. C’est en tenant compte de cela que l’on a pensé à former d’abord […] une grande
entité, qui, politiquement et économiquement, pourra accéder à l’indépendance».
Dans la bataille pour la Fédération du Mali, Modibo Kéïta a toujours été guidé par la volonté
de préserver l’unité du RDA, contrairement à Félix Houphouët-Boigny, qui était farouchement
hostile à l’exécutif fédéral pour les territoires de l’AOF.

I. Les étapes de la construction de la Fédération du Mali:
La bataille pour la Fédération du Mali s’amplifia après le référendum du 28 septembre 1958.
1. Le «tournant historique» de la Conférence de Bamako (29-30 décembre 1958):
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Le 29 décembre 1958, les représentants de quatre pays (Dahomey, Haute-Volta, Sénégal,
Soudan) se réunirent à Bamako pour discuter du projet de Fédération africaine. Les délégations
du Sénégal (Léopold Sédar Senghor, Lamine Guèye, Mamadou Dia…) et du Dahomey
(Sourou Migan Apithy, Alexandre Senou Adandé, Emile Derlin Zinsou, Ignacio Pinto,
Hubert Maga) étaient présentes à Bamako tandis que les voltaïques firent savoir par
télégramme qu’ils ne seraient pas officiellement représentés. Cependant, on note la
participation d’une délégation «officieuse» voltaïque comprenant, entre autres, Gérard
Ouédraogo, Joseph Ouédraogo, Sibiri Salembéré et plusieurs hommes politiques non
mandatés par leurs partis. Parmi ces dirigeants, seuls Joseph Ouédraogo se rallia aux idées
exprimées par les conférenciers.
La Conférence fut ouverte, à 17 heures 50, par le président de séance, Sourou Migan Apithy,
qui affirma dans son discours d’ouverture: «Nous apporterons dans l’accomplissement de ces
travaux ce que nous avons d’africain et de français, c’est-à-dire le meilleur de nous-mêmes.
L’Afrique ne peut vivre isolement».
Modibo Kéïta souhaita la bienvenue aux délégués tout en exposant son option en faveur de
l’unité africaine:
«L’Afrique angoissée est tiraillée entre le courant … de sa balkanisation et celui
heureusement plus puissant de son unité…
Pour nous, d’abord, dans l’immédiat, il s’agit de donner corps et vie à ce que furent
l’AOF et l’AEF. Pour nous, il s’agit de créer la République fédérale de l’Ouest Africain,
aves ces institutions propres. […].
La loi universelle des grands ensembles impose à des pays, jadis opposés par plusieurs
siècles de guerre, une unité économique préludant à une unité politique. Pourquoi ne
serait-elle pas valable pour l’Afrique? […].
Les Africains seront-ils capables de faire taire leur rancoeur, d’étouffer leur orgueil, de
briser le mur des préventions, de placer les préoccupations locales dans un contexte
plus large? Voilà, chers compatriotes, la lourde tâche, mais, combien exaltante, qui est
la nôtre: créer la Fédération de l’Afrique Occidentale. Nous sommes donc sur le
chantier, les matériaux aussi. Nous devons retrousser nos manches et sans mesurer
notre peine, trier, assembler ces matériaux pour élever la maison commune où chacun
pourra… évoluer en toute indépendance […].
Le monde entier, perplexe et quelque sceptique, attend et s’interroge sur l’issue de la
Conférence. Il ne faut pas que l’attente des uns et des autres soit déçue.
Eh bien, chers compatriotes, au travail pour qu’enfin voie le jour la grande République
Fédérale de l’Ouest Africain.
Vive l’Unité Africaine!».
Onze orateurs appuyèrent les propositions de Modibo Kéïta. Léopold Sédar Senghor affirma:
«Si la Fédération était bonne hier, pourquoi ne le serait-elle pas aujourd’hui? […] Il n’y a pas
de force pour la France si ses alliés sont faibles». Gabriel d’Arboussier remarqua: «Notre
union doit assurer l’avenir de nos enfants». Lamine Guèye excipa: «Si nous n’avons pas cette
Fédération nous passerions notre temps en surenchères entre la Métropole et les divers
territoires». Emile Derlin Zinsou nota: «Il n’y a pas de bonheur dans la division et les
antagonismes». Bien qu’étant très affaibli par la maladie, Nazi Boni fustigea avec force «ceux
qui croient pouvoir disposer de la Haute-Volta comme d’un panier de colas. […]. Elle
participera à la Fédération malgré le duel des communiqués contradictoires». Sourou Migan
Apithy déclara que son pays participera à l’initiative «dans la mesure où la Fédération
permettra au Dahomey d’avoir avec ses voisins immédiats des relations souples». Dans son
discours de clôture, Lamine Guèye déclara:
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«Ici élus et responsables africains de toutes tendances, nous n’avons été guidés que par
la claire vision de ce qui nous unit. Si les Africains cessent de se calomnier, ce sont
peut-être eux qui donneront à d’autres peuples des leçons importantes. Bamako, une
fois de plus, aura été le lieu de ce tournant historique franchi le 29 et 30 décembre 1958.
Nous pouvons rentrer chez nous la tête haute, car nous n’avons voulu qu’une seule
victoire, celle de l’Afrique qui permettra de faire la vraie Communauté».
La Conférence de Bamako décida des points fondamentaux suivants: 1) la création d’une
Assemblée Constituante Fédérale; 2) l’adoption d’un calendrier de travail pour la création de la
Fédération; 3) l’envoi de délégations aux États non fédéralistes.

2. La réunion de l’Assemblée Constituante Fédérale (Dakar, 14-17 janvier 1959):
Sénégalais et Soudanais étaient résolument déterminés à aller de l’avant. Contrairement aux
Dahoméens et aux Voltaïques. Maurice Yaméogo était hostile au projet fédéral alors que le
peuple voltaïque était majoritairement favorable à celui-ci. L’Assemblée législative de Haute-
Volta approuva les décisions prises par sa délégation à Bamako. Lors de la réunion de Dakar,
la délégation voltaïque fût conduite par Maurice Yaméogo. Au Dahomey, bien qu’ayant signé
la résolution de Bamako, Sourou Migan Apithy continuait à être hésitant. L’Assemblée
législative du Dahomey approuva les thèses fédéralistes défendues par Zinsou et Adandé.
Sourou Migan Apithy laissa sa place dans la délégation pour la Constituante à une autre
personne.

3. L’élection de Modibo Kéïta à la présidence de l’Assemblée Constituante Fédérale
(08 janvier 1959):
Le 08 janvier 1959, lors d’une session extraordinaire du Grand Conseil de l’AOF, Doudou
Thiam proposa la candidature de Modibo Kéïta comme Président de l’Assemblée Constituante
Fédérale. Philippe Yacé du PDCI-RDA tenta de s’opposer à ce choix: «C’est pour moi une
grande surprise que la candidature de notre ami Modibo Kéïta, présentée aujourd’hui par
Doudou Thiam. […] Je dois quand même faire noter que, jusque-là, dans cette Assemblée, on
a toujours travaillé dans deux groupes officiels et reconnus […] le RDA, d’une part, et le PRA,
de l’autre, avec les Mauritaniens qui ont toujours observé une position neutre. [..] Je ne
conteste ni la valeur de Modibo, ni sa candidature […] mais je soutiens que, quand il y a des
désaccords, […] il faudrait les résoudre à l’intérieur du RDA, avant de contracter certaines
alliances qui ne me semblent pas suffisamment urgentes».

Modibo Kéïta répondît à ces propos en déclarant: «Personnellement, je n’ai aucun complexe
à cause de la présentation de ma candidature, proposée aujourd’hui par le collègue Doudou
Thiam. Si à un moment donné, certains hommes se trouvent regroupés dans la même formation
politique, c’est en raison des choix fondamentaux qu’ils ont précédemment pris; mais quand il
y a un divorce et que le flux des opinions met en premier plan d’autres options, eh bien, les
hommes qui tiennent compte de ces opinions […] ont le devoir de joindre les forces qu’ils
soutiennent à présent, même si auparavant ils luttaient l’un contre l’autre».
En dépit de l’abstention de la Côte d’Ivoire, du Niger et de la Mauritanie, Modibo Kéïta fût
élu Président de l’Assemblée Constituante Fédérale.

4. Les travaux de l’Assemblée Constituante Fédérale:
Le mercredi 14 janvier 1959, se déroula, à Dakar, la séance inaugurale de l’Assemblée
Constituante Fédérale dans la grande salle des séances du Grand Conseil de l’AOF. Cette
Assemblée regroupait quarante-quatre délégués provenant du Dahomey, de la Haute-Volta, du
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Sénégal et du Soudan. En ouvrant les travaux, Lamine Guèye fustigea les ennemis de la
Fédération: «Que les candidats liquidateurs, que les ordonnateurs de funérailles me permettent
de leur dire très simplement qu’ils n’ont aucune chance de faire agréer leur offre de services.
[…] L’unité africaine dans la Fédération, c’est aujourd’hui chose faite par les délégués de
quatre États africains de la Communauté sur sept et au nom de onze millions et demi sur les
dix-sept millions de citoyens qui peuplent ces États».

Le Président de l’Assemblée Constituante Fédérale, Modibo Kéïta, qui dirigea les travaux dans
une atmosphère positive, était assisté par trois vice-présidents: Alexandre Senou Adandé pour
le Dahomey, André Guillabert pour le Sénégal, Ali Barraud pour la Haute-Volta. Celui-ci fût
remplacé, par la suite, par Maurice Yaméogo.

Les travaux s’achevèrent dans la nuit du vendredi 16 au samedi 17 janvier 1959 (à deux
heures du matin) après que le «député grammairien», Léopold Sédar Senghor, eut validé le texte
constitutionnel. De plus, Senghor proposa le nom Mali pour la Fédération. «Ce nom était lourd
d’histoire, en souvenir de l’Empire du Mali, royaume authentiquement noir, qui, pendant
plusieurs siècles (et notamment du XIe au XVe), brilla d’un éclat très vif».
5. Modibo Kéïta fait prêter serment aux Constituants:

A l’appel du Président Modibo Kéïta, les «Constituants de Dakar» se levèrent et prêtèrent
serment par trois fois.
«Constituants de Dakar vous venez de sceller avec votre vote les fondements de l’unité
africaine. La Fédération du Mali, c’est votre oeuvre. Vous vous devez la défendre contre
vents et marées.

Constituants de Dakar, vous avez été les artisans de la Fédération de l’Afrique
Occidentale. Vous devez maintenant vous muter en soldats farouches de l’édification de
la grande Nation Africaine. Je jure sur l’honneur, pour le respect de la dignité africaine,
de défendre partout la Fédération du Mali, je le jure.
Par monts et par vaux, je me ferai le pèlerin, prêcheur infatigable de l’Unité politique
africaine, je le jure.

Et si pour la Fédération du Mali, pour l’Unité politique, pour l’Unité africaine, je dois
accepter l’ultime sacrifice, je n’hésiterai pas, je ne reculerai pas, je le jure».
Selon un témoin de la scène: «De toute la force de sa stature, de la tribune présidentielle où il
siège, Modibo balaie d’un regard ardent les délégations qui lui font face. Le magnétisme joue.
Les Constituants se lèvent. Modibo poursuit, élevant la voix d’un ton: «Prêtons serment […].
Tous répètent à voix forte. J’observe quelques larmes sur certains visages. […]. Au milieu des
applaudissements formidables, Modibo se retire, ne s’autorisant, en maître de cérémonie avisé,
qu’un léger signe de main» [Voir: Roland Colin: Le Sénégal, notre pirogue au soleil de la
liberté. Journal de bord 1955-1980. Présence Africaine, 2007].

L’Assemblée Constituante Fédérale adopta la Constitution (soixante-deux articles) créant la
Fédération du Mali «ouverte à tout État autonome d’Afrique Occidentale désireux d’y
adhérer». Au total, la Constituante de Dakar fut un succès éclatant dans tous les domaines.
6. La bataille de la ratification de la Constitution fédérale par les Assemblées
constituantes des quatre États:

La Constituante adopta également le drapeau (un drapeau tricolore à trois bandes verticales
égales, de couleurs vert, or et rouge avec le symbole dogon représentant un homme debout situé
au centre de la bande de couleur or), une langue officielle (le français), une capitale (Dakar),
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une devise (Un Peuple, un But, une Foi) et un objectif (préparer la voie de l’unité des États
d’Afrique Occidentale).

Au Soudan, dès le 21 janvier 1959, l’Assemblée législative approuva la Constitution de la
Fédération du Mali. Le même jour, Modibo Kéïta rentra à Bamako triomphant. Le 21 janvier
fût décrété jour férié. A Bamako, eurent lieu de grandes célébrations pour marquer la
«résurrection du Mali». Le 8 mars 1959, l’US-RDA remporta une victoire électorale massive
lors des élections générales. Seul Hamadoun Dicko s’opposa à la Fédération du Mali, car, à
son avis, il convenait de «faire le Soudan d’abord et l’Afrique ensuite».

Le Sénégal ratifia la Constitution fédérale du Mali le 22 janvier 1959. Cependant, les partisans
de la Fédération durent faire face à trois courants d’opposition: 1) les éléments du PRA
d’Abdoulaye Ly qui, redoutant une «manoeuvre impérialiste», préféraient l’expérience de
l’union entre la Guinée et le Ghana tout en réclamant l’indépendance immédiate; 2) certains
milieux maraboutiques; 3) le Parti de la Solidarité Sénégalaise de Cheikh Tidiane Sy,
Ibrahima Niasse et Ibrahima Seydou Ndaw qui craignaient une alliance avec un parti comme
l’USRDA. A la suite de la victoire de l’UPS aux élections générales du 22 mars 1959, Senghor
affirma: «Le vainqueur des élections de dimanche au Sénégal c’est le fédéralisme… Nous
avons combattu sous le drapeau de la Fédération du Mali fraternellement mêlés dans les
meetings, aux drapeaux de la Communauté».
Le Dahomey et la Haute-Volta ne réussirent pas à franchir l’étape de la ratification de la
Constitution ffédérale du fait des multiples pressions politiques extérieures et des dissensions
intestines.

Au Dahomey, après la réunion de Dakar, l’UDD-RDA se désolidarisa de la position prise par
la délégation qui avait participé aux travaux de l’Assemblée Constituante Fédérale. Ce qui
engendra une grave crise politique. Soucieux de protéger les intérêts du port de Cotonou,
Sourou Migan Apithy était partisan d’une plus grande autonomie pour le Dahomey. Le 29
janvier 1959, une délégation soudanaise conduite par Mahamane Alassane Haïdara
(président de l’Assemblée législative du Soudan) et Mamadou Madeira Kéïta (ministre de
l’Intérieur du gouvernement soudanais), vint à Cotonou où elle rencontra séparément les
fédéralistes du PPD-PRA et les anti-fédéralistes de l’UDD-RDA pour tenter de vaincre les
réticences des Dahoméens. Mais, cette mission fût infructueuse.

En Haute-Volta, Maurice Yaméogo était initialement favorable à la Fédération du Mali. Ainsi,
le 28 janvier 1959, le projet de Constitution fédérale fût ratifié à l’unanimité des 59 députés
présents sur 70. Par la suite, suite aux pressions du président Houphouët-Boigny, le dirigeant
voltaïque se rétracta. Le référendum du 15 mars 1959, qui approuvait la Constitution du pays,
consacra définitivement la fin de la participation de la Haute-Volta à l’expérience de la
Fédération du Mali.
Malgré les manoeuvres et les pressions exercées par l’ancienne puissance coloniale, Modibo
Kéïta poursuivit la mise en place de la Fédération du Mali.

II. La consécration juridique de la Fédération du Mali:
La défection de la Haute-Volta et du Dahomey impliquait une révision constitutionnelle.
Le 24 mars 1959, les dirigeants soudanais et sénégalais se réunirent au Grand Conseil de l’AOF
pour poursuivre la création de la Fédération. Cette réunion enregistra la participation officieuse
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de représentants de la Haute-Volta (Nazi Boni, Ali Barraud), du Dahomey (Adandé et
Zinsou) et du Niger (Djibo Bakary, Georges Condat et Maurice Camara).

7. Les réaménagements à la Constitution furent les suivants:

1) le préambule fut ainsi libellé: «Le Mali vise à la réalisation de l’unité africaine sur une base
nationale, garante de la cohésion et de la pérennité de la Communauté».

2) Le nombre de député par État pour l’Assemblée fédérale fut fixé à vingt au lieu de douze.

3) Un poste de Vice-président chargé de la Défense fut créé et chaque pays se vit attribuer six
ministres au lieu de trois précédemment.

4) Tous les décrets gouvernementaux doivent être contresignés soit par le Premier ministre soit
par le ministre responsable (article 15 de la Constitution fédérale).
De plus, les dirigeants consacrèrent le principe de l’égalité parfaite entre les deux partis (l’UPS
et l’US-RDA).

Pour conforter l’esprit fédéraliste, les dirigeants décidèrent la création du Parti de la
Fédération Africaine dont la présidence provisoire fût confiée à Léopold Sédar Senghor
tandis que Modibo Kéïta en assumait le Secrétariat général. Il s’agissait, dans l’esprit des
dirigeants, de parfaire «l’unité idéologique» et parce que «les anciens partis de l’Afrique Noire,
et notamment, le RDA et le PRA, ne représentaient plus la situation politique actuelle».

8. La mise en place des Institutions de la Fédération (4 avril 1959):
Le 4 avril 1959, lors de la première réunion de l’Assemblée fédérale, Senghor fût élu Président
de l’Assemblée législative fédérale, Modibo Kéïta Président du Gouvernement de la
Fédération du Mali et Mamadou Dia, Vice-président.
Le Gouvernement fédéral comprenait les personnalités suivantes: Modibo Kéïta, Président,
Mamadou Dia, Vice-président; Doudou Thiam, ministre des Finances, des Affaires
économiques et du Plan; Boubacar Guèye, ministre de la Justice; Tidjani Traoré, ministre de
l’Information et de la Sécurité; Abdoulaye Fofana, ministre de l’Éducation et de la Santé;
Ousmane Ba, ministre du Travail et de la Fonction publique; Mamadou Aw, ministre des
Travaux publics.

Le 6 avril 1959, Modibo Kéïta prononça son discours d’investiture.
9. La question de la représentation de la Fédération au sein de la Communauté:
Le 13 avril 1959, le général de Gaulle reçût une délégation du Mali comprenant Modibo Kéïta,
Mamadou Dia, Léopold Sédar Senghor, Lamine Guèye et Jean-Marie Koné. A l’issue de
l’entretien, la délégation déclara sa totale «confiance au général de Gaulle».

Après la création de la Fédération, il s’agissait de la faire admettre au Conseil exécutif de la
Communauté. Dans son discours du 06 avril 1959, Modibo Kéïta affirma: «Le Mali est né. Il
a donné son adhésion à la Communauté. Il proclame sa confiance au prestigieux Général de
Gaulle. […] La Fédération du Mali est une entité et l’on ne saurait l’ignorer». Cependant, le
troisième Conseil Exécutif de la Communauté refusa de reconnaître la Fédération du Mali. En
effet, des États-membres du Conseil de l’Entente, pilotés par Félix Houphouët-Boigny,
oeuvrèrent pour que la Communauté ignorât la Fédération du Mali. Après de longues
discussions infructueuses, les participants proposèrent «le principe d’une représentation
indirecte du Mali à travers l’un de ses États». Proposition que Mamadou Dia et Jean-Marie
Koné refusèrent.
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L’argumentation de Raymond Janot, le Secrétaire général de la Communauté s’articulait
comme suit: «En raison de la structure de la Communauté, le Mali ne peut être représenté.
[…]. Les États sont entrés isolément au sein de la Communauté, et le Mali n’aurait pu être
représenté au sein du Conseil exécutif que si les États qui le composent avaient décidé de s’unir
en un seul État lors de leur option». Conformément à la décision du 26 mars 1959, Modibo
Kéïta ne participa à cette réunion du Conseil exécutif.
L’absence de Modibo Kéïta à la réunion du Conseil exécutif amena le général de Gaulle à lui
adresser une invitation à venir à Paris le 15 mai 1959.
10. La rencontre entre Modibo Kéïta et Charles de Gaulle (15 juin 1959):

Le 15 mai 1959, Modibo Kéïta et Charles de Gaulle s’entretinrent à l’Élysée sur la
question de la reconnaissance de la Fédération du Mali. Au cours de cet entretien, qui fut
«d’une longueur inaccoutumée», de Gaulle rassura son hôte en affirmant que «la formule de
la Communauté n’est pas définitivement fixée» tout en l’invitant à revenir à l’Élysée chaque
fois qu’il y aurait un problème. Selon la revue Le Mali: «L’Entretien De Gaulle-Kéïta ouvre à
deux battants les portes de la Communauté». [Voir: Le Mali, numéro 1, juillet 1959]. Le
même jour, Modibo Kéïta s’entretint avec Jacques Foccart. Au total, la rencontre entre les
deux dirigeants se solda par une victoire certaine pour la Fédération du Mali qui chemina à
grands pas vers sa reconnaissance grâce à l’action déterminée du président Modibo Kéïta.
11. La Réunion du Comité directeur provisoire du PFA (23 et 24 mai 1959):
Les 23 et 24 mai 1959, Dakar abrita une réunion du Comité directeur provisoire du PFA
destinée à fixer les dates du Congrès de ce Parti. Cependant, cette rencontre fût marquée par
des discussions houleuses entre les participants. Pour apaiser les tensions, Mamadou Dia
effectua un voyage au Soudan (31 mai au 04 juin 1959) tandis qu’une délégation soudanaise
séjourna au Sénégal du 8 au 12 juin 1959.
12. Le Congrès constitutif du Parti de la Fédération Africaine (Dakar, 1er au 03
juillet 1959):

Du 1er au 03 juillet 1959, le Congrès constitutif du Parti de la Fédération Africaine (PFA) se
déroula dans la grande salle de la Mairie de Dakar. Ce Congrès se voulait celui des «bâtisseurs
du nouveau Mali». Aux côtés des délégués sénégalais et soudanais, on notait la présence de
plusieurs délégations représentant les fédéralistes de la Haute-Volta, du Dahomey, de la
Mauritanie, du Niger. La première journée fût marquée par les interventions des dirigeants
suivants: Lamine Guèye, qui prononça, à la fois, le discours d’ouverture et de clôture, Léopold
Sédar Senghor, Mamadou Madeira Kéïta, Djibo Bakary.

Léopold Sédar Senghor centra son intervention sur la doctrine et le programme du Parti et,
singulièrement, la «voie africaine au socialisme». Sur la question de l’indépendance, il utilisa
une formule «modérée» en parlant «d’une indépendance nominale … celle de l’esprit et du
coeur… librement associée à la France dans une Confédération». Cette formulation ne recueillit
par l’approbation de la salle où très peu de gens applaudirent cette sortie. Madeira Kéïta plaça
le Congrès dans son contexte tout en définissant le but et les objectifs. Djibo Bakary affirma:
«Il n’y a pas de Nation sans l’indépendance nationale» [il critiquait ainsi la position de Léopold
Sédar Senghor]. Pour Mamadou Dia: «la querelle de l’indépendance n’est que de la
dialectique. Il faut construire notre indépendance réelle dans le travail quotidien». Lamine
Guèye, dernier orateur de la journée, déclara que «tout le monde parle de l’indépendance, j’en
parlerai aussi […] je suis pour l’indépendance, et le plus tôt sera le mieux». En conclusion,
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Senghor remarqua qu’il y avait: «des nuances de pensée parce qu’il y a des différences de
tempérament et de style».
L’Intervention de Modibo Kéïta au Congrès du PFA (02 juillet 1959):

Le 02 juillet 1959, Modibo Kéïta prononça son discours dans lequel il présenta la structure et
l’organisation du PFA. Pour lui: «Notre but en formant le PFA est la réalisation de l’unité et
de l’indépendance africaine […]. Cet objectif est à la portée des hommes décidés, unis et
organisés, qui ne plongent pas dans un monde d’idées abstraites, optimistes. […] Or, nous
avons nos faiblesses. […] certaines couches de la population sont encore très sensibles aux
honneurs et aux avantages que leur dispensait le régime colonial. […]. D’autre part, par
ambition au sein du même parti se créent des clans […] le parti se dégrade, devient une vulgaire
officine électorale. L’une des conséquences est la création, l’élargissement d’un fossé entre les
masses d’une part, les dirigeants et les élus, d’autre part».
Parlant des jeunes et des femmes, il affirma: «La jeunesse constitue l’élément dynamique du
mouvement. […] Il faudra que la jeunesse intellectuelle se soude à la jeunesse rurale pour
amener celle-ci à la conception des grands courants qui traversent le monde…

La femme doit aussi être associée à l’action du parti. […] Il faut que la femme soit convaincue
de l’importance de son rôle dans la conquête de la personnalité africaine».
Au total, la question de l’indépendance était désormais au centre de la vie de politique de la
Fédération du Mali. Pour Senghor, pour accéder à l’indépendance, il fallait remplir deux
conditions: 1) garantir la coopération avec la France, 2) ne pas compromettre l’unité africaine.
Modibo Kéïta et ses compagnons étaient plus proches de Kwamé Nkrumah qui disait:
«Prenez l’indépendance et le reste vous sera donné par surcroît». La coopération avec la
France était souhaitable mais elle ne devait pas être un obstacle à l’accession à l’indépendance.
Ainsi, trois éléments fondamentaux opposaient Senghor aux responsables Soudanais:
l’indépendance, la coopération avec la France et l’organisation interne de la Fédération.
13. La poursuite des attaques de Félix Houphouët-Boigny contre les fédéralistes lors
de la quatrième session du Conseil exécutif de la Communauté (Tananarive, et 8
juillet 1959):

Selon Modibo Kéïta, «le Congrès [du PFA] a donné mandat au bureau définitif d’obtenir à
bref délai l’indépendance du Mali dans le cadre d’une association confédérale avec la France.
Cette évolution de notre Fédération implique celle de la Communauté ou des accords
particuliers entre la Communauté et le Mali». Or, Houphouët-Boigny était farouchement
hostile à l’évolution de la Communauté selon la vision dégagée par Modibo Kéïta. Pour lui:
«Un certain Congrès qui vient de se tenir à Dakar voudrait engager la Communauté dans la
voie d’une Confédération multinationale. […]. Je dis: plus de duplicité. Ou bien nous nous
engageons les uns et les autres à construire une Communauté durable, ou bien nous nous
refuserons, nous membres du Conseil de l’Entente, à être d’une Communauté qui ne serait plus
qu’un Commonwealth».

III. La marche irrésistible vers l’indépendance de la Fédération du Mali:
Les 23 et 24 septembre 1959, le Comité directeur du PFA se réunit, à nouveau, pour déterminer
la voie à suivre pour l’obtention de l’indépendance de la Fédération du Mali. La résolution
finale de cette rencontre spécifiait: «Lors du dernier Conseil Exécutif, le caractère évolutif de
la Communauté a été librement admis. Les États du Soudan et Sénégal ont, à cette occasion,
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fait connaître […] leur décision de faire usage de leur droit à l’indépendance. Le Comité
directeur a, en conséquence, décidé de tirer les conclusions pratiques de ces réalités en vue
d’aboutir, dans les moindres délais et conformément aux stipulations de la Constitution de la
Communauté, à l’indépendance du Mali par le plein exercice des souverainetés nationales des
États qui les constituent, dans le cadre d’une association de type confédéral avec la France».
Durant ce Comité directeur, la proposition soudanaise d’affirmer la primauté du Parti sur le
Gouvernement ne fût pas retenue.

Le 3 octobre 1959, le général de Gaulle eût un entretien avec Léopold Sédar Senghor sur les
modalités d’accession de la Fédération du Mali à l’indépendance.
Le 10 novembre 1959, le général de Gaulle prononça un discours à l’Élysée dans lequel il
afficha son option pour une évolution souple de la Communauté.

Le 26 novembre 1959, le général de Gaulle rencontra, à nouveau, les dirigeants de la
Fédération du Mali. Au cours de cette rencontre, il se montra favorable à la requête formulée
par les dirigeants du Mali pour le transfert des compétences tout en spécifiant que certains
points devaient encore être réglés.

14. La réunion du Sixième Conseil exécutif de la Communauté (Saint-Louis, 11-12
décembre 1959):

Lors de la réunion du sixième Conseil exécutif de la Communauté (Saint-Louis, 11-12
décembre 1959), le général de Gaulle accepta la demande d’indépendance du Sénégal et du
Soudan regroupés dans la Fédération du Mali. Il prononça un discours le 12 décembre 1959
sur la place Faidherbe à Saint-Louis. Félix Houphouët-Boigny, Hamani Diori et Maurice
Yaméogo quittèrent Saint-Louis avant la clôture de la séance du 12 décembre 1959. Une fois
de plus, le dirigeant ivoirien venait d’être battu par Modibo Kéïta et les partisans de la
Fédération du Mali.

Le 13 décembre 1959, le général de Gaulle fût reçu à l’Assemblée fédérale du Mali à Dakar.
Les dernières étapes avant l’indépendance:
Trois étapes devaient être franchies pour obtenir le transfert des compétences: Premièrement,
le transfert de toutes les compétences au Sénégal et au Soudan pour qu’ils disposent de
l’entièreté de leur souveraineté. Deuxièmement, la délégation des pouvoirs du Sénégal et du
Soudan au Gouvernement de la Fédération du Mali. Troisièmement, la signature des accords
d’association entre la France et la Fédération du Mali. Cette procédure s’expliquait par le fait
que les deux États avaient adhéré «isolement» à la Communauté.

15. Le premier round des négociations franco-maliennes sur l’indépendance de la
Fédération du Mali (Paris, 18-21 janvier 1960) :

Le 18 janvier 1960, marque le démarrage des négociations franco-maliennes à l’hôtel
Matignon en présence du Premier ministre Michel Debré. La délégation malienne, composée
de Modibo Kéïta, Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia, faisait face à Messieurs
Raymond Janot, Louis Jacquinot, ministre d’État. Les discussions se déroulèrent dans une
atmosphère «excellente» et les «entretiens [furent] cordiaux et constructifs». Cette première
rencontre s’acheva le 21 janvier 1960. Les négociations durèrent plusieurs mois. Une
commission d’experts fut chargée des questions techniques.
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Le 04 avril 1960: les protagonistes signèrent les accords franco-maliens qui permettaient à la
Fédération du Mali de gérer de façon autonome ses propres intérêts, et, notamment, les
compétences détenues par la Communauté selon les dispositions de «l’article 78 de la
Constitution». L’échange de lettres du 4 avril 1960 prévoyait que la France procèderait à une
révision constitutionnelle de l’article 86 «en vue de permettre dans les plus brefs délais possible
la mise en vigueur simultanée des accords, qui marqueront l’accession de la Fédération à
l’indépendance». De plus, dès la proclamation de l’indépendance de la Fédération, le
Gouvernement fédéral signera «des accords définissant les principes et les modalités de la
coopération librement instaurée entre la République française et la Fédération dans le cadre
de la Communauté rénovée».

Après le 04 avril 1960, les dirigeants des deux États se rencontrèrent à plusieurs reprises,
notamment, lors de la Conférence inter-États (du 14 au 16 avril 1960) et des réunions du
Comité directeur du PFA (les 7 et 8 mai 1960) et (21 et 22 mai 1960). Lors de ces rencontres,
des divergences apparurent sur différentes modalités d’organisation de la Fédération. Pour
aplanir les dissensions intestines secouant la Fédération, une mission de conciliation fût mise
sur pied avant la réunion du Comité directeur du PFA, les 21 et 22 mai 1960. Au bout du
compte, les dissensions intestines furent aplanies lors de ladite réunion qui fixa la date de
l’élection du Président de la Fédération au 27 août 1960 avant la session des Nations Unies en
septembre.

Par ailleurs, au cours de la seconde moitié du mois d’avril 1960, se posa la question des dépôts
d’armes à la frontière guinéenne: Le président Sékou Touré invita une délégation malienne
à se rendre à Conakry pour discuter de la question. Ce télégramme figura à l’ordre du jour du
Conseil des ministres du 5 mai 1960. Pour le président Modibo Kéïta: «s’ils sont vrais, les
faits dénoncés sont graves. Ils impliquent qu’il y a un trafic d’armes sur le territoire de la
Fédération du Mali en vue de menées subversives contre le gouvernement guinéen». Ce qui
serait de nature à nuire aux relations entre les deux pays.

Il fallait donc envoyer une délégation
en Guinée. Mamadou Dia, qui était absent lors de cette session du Conseil des ministres, était
hostile à une telle démarche. Après une rencontre le président Modibo Kéïta et le Viceprésident
Mamadou Dia, le Conseil des ministres du 12 mai 1960 prît la décision de ne point
envoyer de délégation en Guinée tout en adressant une lettre au président guinéen en l’informant
de l’ouverture d’une enquête sur le territoire de la Fédération du Mali depuis le 21 avril 1960.
Cette enquête aboutît à la découverte de deux dépôts d’armes à Kédougou dans la zone
frontalière avec la Guinée. Cette révélation suscita une vive émotion dans tous les milieux.

Le 20 juin 1960, la Fédération du Mali devint le premier État de la Communauté à accéder
à la souveraineté internationale. Lors de la proclamation de l’indépendance, la France fût
représentée par Messieurs Louis Jacquinot, ministre d’État, Jean Foyer, Secrétaire d’État à la
Coopération, Jacques Foccart, Secrétaire général de la Communauté. Dans son discours du 20
juin, le président Modibo Kéïta affirma: «Nous devons agir sur nous-mêmes autant pour le
bonheur des générations lointaines que pour la nôtre».
16. L’accumulation des contradictions intestines entre les protagonistes de la
Fédération:
a. La candidature de Léopold Sédar Senghor à la présidence de la Fédération:
Immédiatement après la proclamation de l’indépendance, les sénégalais décidèrent de
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proposer la candidature de Léopold Sédar Senghor à la présidence de la Fédération et
celle de Lamine Guèye au poste de President de l’Assemblée Fédérale.

b. Les déclarations du président Modibo Kéïta au Libéria (Juillet 1960): Le 21 juillet
1960, le président Modibo Kéïta s’exprima sur la politique étrangère de la Fédération
du Mali. A son avis, celle-ci «sera déterminée par quatre idées: La première, c’est la
grande sensibilité africaine aux mystiques: lorsque nous avons constitué la Fédération
du Mali, nous avons été fortement critiqués et lorsque, en septembre dernier, nous
avions annoncé que nous serions indépendants, nous avons été traités de démagogues.

Depuis, ce qui était démagogue est devenue règle générale. La seconde idée se rapporte
au plan économique: nous avons affirmé qu’aucun État de l’ex-AOF ne pouvait
s’organiser seul, avec ce que cela comporte d’obligations et nous avons lancé l’idée de
la Fédération. Au départ, celle-ci comprenait quatre États. Elle n’en comprend plus que
deux pour la raison simple qu’il fallait nous diviser pour nous rendre vulnérables.
Maintenant, tous les États africains de l’Ouest parlent à nouveau d’unité. La troisième
idée concerne le problème de nos rapports financiers avec la France. La position du
Mali est claire. Il accepterait l’aide financière française dans la mesure où elle serait
globale, c’est-à-dire, si elle s’étendait sur un plan de 2, 3 ou 4 ans. Nous aurions ainsi
la possibilité d’introduire cette assistance dans nos moyens financiers nécessaires à
notre développement.

Enfin, la quatrième idée c’est que les États africains sont devenus
l’enjeu d’une lutte entre les grandes puissances. C’est un jeu dangereux pour nous, car
nous sommes soumis au bon vouloir des grandes puissances. Il suffirait que nous soyons
entraînés dans le sillage de l’une d’entre elles pour que nous courions le risque d’être
astreints à accepter son régime politique. C’est pourquoi je pense qu’à une assistance
internationale bilatérale, doit être substituée une assistance multinationale».
Dans la même déclaration, le Président Modibo Kéïta préconisa «l’établissement d’une
zone monétaire africaine qui pourrait promouvoir la création d’un regroupement
africain sur une base élargie». Il évoqua la possible reconnaissance du Gouvernement
Provisoire de la République Algérienne (GPRA).

Les dirigeants sénégalais accusèrent le Président du Gouvernement fédéral de «suivre un
chemin tout à fait personnel» en matière de politique internationale. Dans les milieux
économiques et politiques français, l’évocation de la création d’une zone monétaire africaine
fût perçue au plan international comme une volonté de faire sortir la Fédération du Mali de la
zone franc. De plus, certains milieux français craignaient le fait que le FLN algérien puisse se
ravitailler en armes à partir du sud du Sahara.

c. Les contacts entre le Président Modibo Kéïta et les dirigeants du PRA-Sénégal: Les
dirigeants sénégalais n’apprécièrent pas les contacts entre le Président Modibo Kéïta et
certains dirigeants du PRA-Sénégal ainsi que la tentative de «rapporter le texte qui avait
dissous le Parti Africain pour l’Indépendance (PAI)».
17. La nomination du Colonel Soumaré au poste de Chef d’état-major contre
l’assentiment de Mamadou Dia mît le feu aux poudres entre sénégalais et soudanais.

Selon le procès-verbal du Conseil des Ministres du 23 juillet 1960, consacré aux questions
militaires, Mamadou Dia préconisa le «maintien des unités actuelles, mises à la disposition du
Mali». Modibo Kéïta souligna la nécessité d’une «rapide relève» des Français ainsi que la
«malianisation» de l’Armée. A son avis, la solution préconisée par Mamadou Dia était
«dangereuse» politiquement et psychologiquement. Il affirma que «les officiers activistes et
certains États Arabes» faisaient «croire aux populations que, malgré l’indépendance du Mali,
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la France continuera à régner sur les confins sahariens». Modibo Kéïta proposa l’adoption
pour l’armée malienne d’une tenue différente de celle de l’armée française. Pour lui, «il faut
que notre Gendarmerie, comme notre Armée, soit nôtre».

Le Conseil des Ministres examina également la question du choix entre le Colonel Fall et le
Colonel Abdoulaye Soumaré au poste de chef d’état-major général des forces armées. Pour
les Soudanais, celui-ci disposait d’une plus grande ancienneté et d’un grade plus élevé tout en
étant plus populaire dans les milieux militaires africains que le Colonel Fall qui était le choix
des sénégalais. Pour ne pas se déjuger par rapport à son choix en faveur du Colonel Fall,
Mamadou Dia demanda à être déchargé de ses fonctions de responsable fédéral de la Défense,
ce que le président Modibo Kéïta refusa catégoriquement en arguant que «l’effet serait
désastreux sur le public… On dira que le Vice-président se débarrasse de ses attributions,
parce que son avis n’a pas prévalu en Conseil. Cela serait fâcheux». Le Vice-président du
Gouvernement, Mamadou Dia se rangea «aux raisons du Président et de la majorité du
Conseil et accepta la nomination du Colonel Soumaré». [Voir Procès-verbal de la séance du
Conseil des Ministres de la Fédération du Mali du 23 juillet 1960].

A l’issue de ce Conseil des Ministres, Modibo Kéïta, Président du Gouvernement Fédéral,
nomma par décret le Colonel Abdoulaye Soumaré comme Chef d’état-major général de la
Défense et des forces armées du Mali. Mamadou Dia refusa de contresigner ce décret qui fût
toutefois publié au Journal Officiel de la Fédération du Mali du 6 août 1960.
IV. L’éclatement de la Fédération:
Le 16 août 1960, Mamadou Dia fît promulguer un arrêté précisant que «la réquisition des forces
de la Gendarmerie stationnées sur le territoire d’un État de la Fédération appartient aux
Autorités administratives et judiciaires de cet État».

Le 17 août 1960, le Premier ministre Michel Debré adressa au Haut-Représentant français,
Hettier de Boislambert, le télégramme n*2190-221 contenant le message suivant: «Sur le plan
militaire, l’armée de la Communauté a pour raison d’être la défense de la Communauté et des
États qui en font partie. Elle ne saurait être employée à des opérations de politique intérieure…
Au cas où une demande vous serait adressé, vous devrez répondre que depuis l’indépendance
proclamée de l’État du Mali, vous ne pouvez que transmettre une telle demande au
Gouvernement Français, vous-même étant dans l’impossibilité de prendre seul une telle
décision». [Voir: Note de renseignements du Secrétariat d’État du M.A.E. français «Sur la
crise malienne». 1er septembre 1960, Archives M.A.E. série DAM sous-série MALI, 1959-
1969, num.2518].

Le 18 août 1960, Mamadou Dia adressa une instruction à la Gendarmerie, rappelant que «le
maintien de l’ordre public sur le territoire du Sénégal étant du ressort exclusif du Président du
Gouvernement, les Forces de Gendarmerie mises pour l’emploi à sa disposition ne peuvent être
requises que par cette Autorité» [Confère Instruction pour le Commandant du Groupement
de la Gendarmerie du Sénégal, 18 août 1960, signé Dia, Archives de Dakar, Fédération du
Mali 203].

À la veille de la Conférence Inter-États du 20 août 1960, qui devait fixer la répartition des
postes et des compétences au sein de la Fédération avant l’élection présidentielle du 27 août
1960, les responsables sénégalais décidèrent de masser à Dakar près de 10 000 militants de
l’UPS. Senghor demanda au Secrétaire général de la Régie des chemins de fer «de stopper les
trains dans la soirée du même jour pour empêcher tout renfort militaire de parvenir, ce jourlà,
jusqu’à Dakar».
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Les dernières heures de la Fédération du Mali (19 au 20 août 1960):
Le 19 août 1960:

1. Senghor convoqua les sept responsables régionaux de l’UPS pour s’entretenir avec eux.

2. Le Comité Directeur de l’UPS confirma la candidature de Senghor pour l’élection à la
Présidence de Fédération. Le président Modibo Kéïta demanda aux responsables de
l’UPS «d’attendre, dans l’intérêt de l’unité africaine qu’une candidature acceptable
pour tous se dégage avant de se prononcer».

3. À 10h30, le lieutenant-colonel Pierre reçût une réquisition de Mamadou Dia «fixant
à huit pelotons de Gendarmerie les forces pour maintenir l’ordre dans la ville de Dakar
à partir du 19 août à midi».

4. À midi, le ministre de l’Intérieur, Valdiodio Ndiaye présida une réunion «urgente»
des «responsables des services de sécurité du Sénégal» visant à «parer à l’éventualité
d’un complot soudanais».

5. À 16h30, à l’issue d’une nouvelle réunion des responsables de la sécurité sénégalaise
«toutes les forces furent tenue en alerte».

6. Suite à ces différentes initiatives, le président Modibo Kéïta décida de convoquer une
réunion extraordinaire du Conseil des Ministres à 20h30 et de faire préparer un décret
de proclamation de l’état d’urgence.

7. Le Conseil des Ministres Extraordinaire du 19 août 1960 prit les deux décisions
majeures suivantes: d’une part, il abrogea le décret n*60-125 du 16 juin 1960 (qui
chargeait à titre provisoire le Vice-Président de la Défense et de la Sécurité extérieure);
d’autre part, il conféra au Président du Gouvernement Fédéral les charges de la Défense
et de la Sécurité extérieure. Mamadou Dia et Doudou Guèye ne participèrent à cette
session extraordinaire du Conseil des Ministres.

8. La rencontre entre le président Modibo Kéïta et le Haut-Représentant français,
Hettier de Boislambert (19 août 1960, 21h30)
A l’issue de la réunion du Conseil des Ministres Extraordinaire, le président Modibo
Kéïta convoqua le Haut-Représentant français, Hettier de Boislambert, «pour l’informer
des décisions qui venaient d’être prises. Il [le Haut-Représentant français] exprima le
souhait que les officiers français n’aient pas à intervenir.
Je lui fis remarquer que les officiers français ont été mis à la disposition du Mali et
qu’ils doivent obéir aux ordres du Gouvernement du Mali.
… Il [le Haut-Représentant français] m’informa à nouveau que les troupes françaises
n’interviendront nullement dans le conflit à la demande du Sénégal ou du Mali.

Je répondis que les accords militaires franco-maliens engageaient la France sur notre
demande, à participer au maintien de la sécurité intérieure et extérieure de la
Fédération du Mali. Il resta sur son refus d’intervention, même sur la demande expresse
du Gouvernement de la Fédération».
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Le Haut-Représentant français, Hettier de Boislambert, donna sa version de cette
entrevue. Selon lui: «J’ai été appelé à 21h30 dans le bureau du Président Kéïta qui
tenait un Conseil des Ministres restreint…
Le Président m’informa que c’était par courtoisie qu’il m’avait convoqué afin de me
faire connaître les deux décrets qu’il venait de prendre…
Je remerciais Modibo Kéïta de son geste de courtoisie et lui dit que j’informerais le
Gouvernement français. Au moment où je me retirais, Boubacar Guèye demanda quelle
serait l’attitude des forces de la Communauté stationnées au Sénégal. Je lui répondis
qu’étant donné qu’il s’agissait d’une crise politique interne […] elles n’auraient pas à
intervenir. Le Président Kéïta me remercia de respecter ces accords et tous les ministres
présents me donnèrent leur assentiment complet». [Confère: Déclaration de Hettier de
Boislambert à l’Agence United Press International à propos des évènements de
Dakar. Archives de Dakar, Fédération du Mali 203]. Cette version du Haut-
Représentant français est contredite par une note de renseignements du Secrétariat du
MAE français en date du 1er septembre 1960.

9. Après avoir révoqué le décret du 17 août 1960 émis par Mamadou Dia, le président
Modibo Kéïta réquisitionna les forces armées et la Gendarmerie afin qu’elles occupent
les points sensibles de la ville de Dakar. [Confère: Conférence de presse du président
Modibo Kéïta du 25 août 1960].

10. Le Colonel Soumaré appela le lieutenant-colonel Pierre en lui demandant de venir au
bureau du président Modibo Kéïta. Mais celui-ci refusa d’obtempérer à cette
convocation.

11. A 21h30, le Colonel Soumaré se rendît à la Médina au quartier général de la
Gendarmerie pour remettre au capitaine Sanvoisin à l’intention du lieutenant-colonel
Pierre la réquisition générale de la Gendarmerie émise par le président Modibo Kéïta
ainsi que les ordres de mise en état d’alerte des pelotons de la Gendarmerie. Le Capitaine
français ne céda pas aux injonctions du Colonel Soumaré.

12. Le lieutenant-colonel Pierre décida de n’obtempérer qu’aux «seules… réquisitions
adressées à la Gendarmerie par le Gouvernement du Sénégal». [Confère: Pierre
Lieutenant-Colonel, Film des évènements vécus, 22 août 1960].

13. A 22h30, le président Modibo Kéïta prononça une allocution radiodiffusée en
déclarant: «L’existence du Mali est en péril. Certains dirigeants du Mali, sous le
prétexte d’élections présidentielles, veulent mettre en cause l’intégrité du Territoire
national et créer un état de tension qui risque d’être à l’origine d’incidents extrêmement
graves».

14. Après cette intervention, les dirigeants sénégalais organisèrent la riposte. Senghor et
Valdiodio Ndiaye s’adressèrent à la Gendarmerie pour la rallier à la cause du Sénégal.
Cette harangue s’acheva vers 23h30.

15. A Minuit, le Colonel Soumaré fût arrêté par le lieutenant-colonel Pierre. La
Gendarmerie prît possession de Radio-Mali qui fût baptisée Radio-Sénégal.

16. Barricadés à l’Assemblée nationale, les dirigeants sénégalais décidèrent:
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 premièrement, d’abroger la loi du 10 juin 1960 portant transfert de compétences du
Sénégal à la Fédération du Mali;
 deuxièmement, de proclamer la République du Sénégal;
 troisièmement, de décréter l’état d’urgence et;
 quatrièmement, d’accorder les pleins pouvoirs au Gouvernement pour une durée de
trois mois.

17. Puis, Mamadou Dia, décida de placer en résidence surveillée le président Modibo
Kéïta et les ministres soudanais en émettant le mandat de perquisition suivant:
«Le Président du Conseil donne mandat au Colonel Pierre, Commandant de la
Gendarmerie de la République du Sénégal, de perquisitionner à domicile, jour
et nuit, partout où besoin sera, notamment, chez Modibo Kéïta, conformément
aux dispositions des articles 10 paragraphe1, et 14 de la loi n. 60.042 du 20 août
1960 relative à l’état d’urgence». [Confère: Mandat de perquisition, Dakar du
Président du Conseil Sénégalais au Colonel Pierre du 20 août 1960. Archives
de Dakar. FM 203].

18. Puis, lors d’une réunion de 2 heures à 6 heures du matin, dans la caserne de la
Gendarmerie de la Médina, le Gouvernement sénégalais adopta une série de décrets
portant création des services publics (Trésor, Douanes).

19. Entretemps, bien qu’étant en résidence surveillée, le président Modibo Kéïta, utilisa un
poste-émetteur-récepteur inconnu du contrôle radioélectrique pour entrer en contact
avec Bamako et «prêcher le calme et la patience». Il demanda au Gouvernement
soudanais de «télégraphier au Secrétariat général de l’ONU» pour demander une
réunion du Conseil de Sécurité. Auparavant, il avait eu un entretien téléphonique avec
le Chargé d’affaires des États-Unis d’Amérique pour solliciter– sans succès- une
réunion du Conseil de Sécurité.
Le 20 août 1960:

20. Le président Modibo Kéïta envoya, à 06h30 du matin, un message au général de
Gaulle pour solliciter la mise à disposition des forces françaises. En réponse à cette
sollicitation, le général de Gaulle adressa un message identique à Modibo Kéïta et
Mamadou Dia pour les inviter à venir le rencontrer à Paris. Ce message était le suivant:
«M. Le Président, les évènements, qui séparent actuellement le Sénégal et le
Soudan et rompent la Fédération du Mali, risquent d’avoir pour les deux États
de lourdes conséquences. En outre, la Communauté en est affectée. […] Je vous
propose de venir à Paris pour m’entretenir de vos intentions soit dans le sens
d’un rapprochement entre le Soudan et le Sénégal, soit en vue des rapports que
vous envisagez entre le Soudan (le Sénégal) et la France». [Archives de Dakar,
FM 203].

21. Le président Modibo Kéïta répondît au général de Gaulle en ces termes:
«M. le Président, […] Je considère comme extrêmement grave:
Que des officiers français aient été les principaux artisans de la situation créée;
Le fait que la France considère comme rompus les liens de la Fédération alors
que la rupture, constitutionnellement est impossible;
Que vous envisagiez de nouveaux rapports entre la France et le Soudan […]
parce que la France mettrait en cause l’application des accords franco-maliens.
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J’exprime moi aussi le souhait que la France ne prenne à l’égard du Sénégal
aucune mesure pouvant être interprétée comme une reconnaissance de la
sécession de cet État et qui pourrait avoir des conséquences extrêmement graves
sur le plan international.
Dès que je pourrai, je répondrai à votre invitation». [Texte publié dans
Marchés tropicaux et méditerranéens, n* 772, du 27 août 1960].

22. Le 20 août 1960, au matin, la Fédération du Mali avait vécu!
Les dirigeants sénégalais intensifièrent la mobilisation des différents segments de la population
pour soutenir et conforter la décision de sécession qu’ils avaient orchestrés la veille.

23. Le 23 août 1960, Mamadou Dia se rendît à Paris pour y rencontrer le général de
Gaulle. Lors de cet entretien, le Président français prît acte «de la position sénégalaise
et, notamment, de sa sortie définitive de la Fédération du Mali, de l’indépendance du
Sénégal et du désir de signer de nouveaux accords de coopération avec la France».
V. Après l’éclatement de la Fédération:

24. L’annonce de la nouvelle de l’éclatement de la Fédération du Mali fût reçue à Bamako
comme un véritable coup de massue sur la tête des soudanais.

25. Le 21 août 1960, à 20 heures, le train spécial transportant la délégation du président
Modibo Kéïta quitta Dakar à destination de Bamako. Quarante mille personnes vinrent
accueillir la délégation présidentielle à son arrivée à Bamako.

26. Le rôle de la France: Dans ses Mémoires, Jacques Foccart, Secrétaire général de
l’Élysée chargé des Affaires Africaines reconnût: «N’oubliez pas que c’était à la miaoût;
il n’y avait pas grand monde dans les Ministères français. Je ne pense pas que
quelque chose de précis ait été décidé, mais on a dû faire comprendre aux Sénégalais
que la France ne ferait rien pour empêcher une sécession de leur part». [Foccart
parle pp 225-226, Fayard/Jeune Afrique 1995]

27. La rencontre entre Modibo Kéïta et de Gaulle: Le 02 septembre 1960, le
président Modibo Keita rencontra le général de Gaulle à l’Élysée. A l’issue de cet
entretien, il déclara: «Le Soudan ne s’inclinera pas devant la situation de fait créée
par certains de nos amis du Sénégal. […] Seul l’avenir permettra de dégager les
moyens par lesquels la réalité juridique du Mali deviendra une réalité de fait». Enfin,
il affirma que le «Le Mali ne rejettera aucune médiation». [Confère: Dépêche AFP
n* 116 du 1er septembre 1960, «La venue de Modibo Kéïta à Paris et la crise du
Mali», Archives de Dakar, FM 120]

28. Le 03 septembre 1963, après son entretien avec le président Modibo Keita, le général
de Gaulle envoya à Mamadou Dia et Léopold Sédar Senghor un télégramme
contenant les éléments suivants:
«Je viens de recevoir M. Kéïta. Je pense après cet entretien que du côté soudanais, on
ne s’enferme pas dans un état d’esprit de lutte contre le Sénégal. J’ai recommandé à
mon interlocuteur qu’on recherche les moyens de prendre contact entre les deux
gouvernements, en vue de découvrir […] une issue pratique à la crise actuelle […] et
de considérer les changements de structures qui devraient être apportés afin de
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maintenir le fait d’un regroupement entre le Sénégal et le Soudan, sans revenir à une
Fédération qui est désormais impossible. […] Dans ces conditions, je crois devoir vous
recommander de ne pas procéder dans l’immédiat à des mesures constitutionnelles
nouvelles et irréversibles». [Télégramme de M le Président de la Communauté,
Charles de Gaulle, à Mamadou Dia et Léopold Sédar Senghor, 03 septembre 1960,
Archives de Dakar, FM 203]

29. Le 05 septembre 1960, Léopold Sédar Senghor se fît élire Président de la République
du Sénégal. Mamadou Dia fût investi Président du Conseil par l’Assemblée nationale.
La course diplomatique à la reconnaissance:

30. Après le 05 septembre 1960, les dirigeants des deux pays dépêchèrent plusieurs
missions diplomatiques en Afrique et aux Nations Unies à New York. Mamadou Aw
et Seydou Badian Kouyaté menèrent une intense activité au sein des Nations Unies
pour faire triompher la cause du Mali auprès du Groupe afro-asiatique. En face d’eux,
Ousmane Socé Diop et Fall Cheikh défendirent avec autant de vigueur le point de vue
sénégalais. En Afrique, Mahamane Alassane Haïdara, le président de l’Assemblée
législative soudanaise, effectua des «missions d’amitié et de bonne volonté» en se
rendant, tour à tour, à Monrovia (Libéria), Conakry (Guinée), Accra (Ghana), Niamey
(Niger) et Ouagadougou (Haute-Volta). Pour sa part, le président Modibo Keita se
rendît, à partir du 05 septembre 1960, à Rabat (Maroc) pour s’entretenir avec Sa
Majesté, le roi Mohammed V, puis au Ghana où il participa à un Sommet tripartite avec
les présidents Kwamé Nkrumah (Ghana) et Ahmed Sékou Touré (Guinée) avant de
rencontrer le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny. Le 12 et 13 septembre 1960,
le Premier ministre Patrice Lumumba lui adressa une invitation à se rendre à
Léopoldville. [Confère: Dépêche AFP n*66 du 05 septembre 1960. Archives de
Dakar, FM 122]

De leur côté, les délégations sénégalaises parcoururent l’Afrique du Nord et l’Afrique
Occidentale. Gabriel d’Arboussier visita le Ghana, le Togo, le Nigéria et le Dahomey.

31. Le dimanche 11 septembre 1960, la France reconnût officiellement l’indépendance du
Sénégal.

32. Le jeudi 22 septembre 1960, Modibo Keita proclama l’indépendance de la République
du Mali.

33. Le 28 septembre 1960, le Sénégal et le Soudan devenaient membres des Nations Unies.
La candidature sénégalaise fût parrainée par la France et la Tunisie; celle du Mali par la
Tunisie, Ceylan et la France. A la tribune de l’ONU, Mamadou Aw affirma avec force
que le Gouvernement malien n’avait pas sollicité le parrainage de la France.

En conclusion:
Citons ceux qui ont été, aux côtés du général de Gaulle, de Georges Pompidou et de Jacques
Foccart, les principaux acteurs (exécutants) de la mise en oeuvre de la politique africaine de la

France à cette époque:
«D’après Alain Plantey, «le général de Gaulle ne voulait pas que la Communauté
évolue trop rapidement […]. Il pensait que la Communauté durerait suffisamment
longtemps pour laisser évoluer les choses et passer progressivement, sans précipiter le

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mouvement, de l’autonomie à l’indépendance» et que par conséquent, le «Général a
regretté la fin prématurée de la Communauté. Mais il ne pouvait pas faire autrement…».
Aussi bien Yves Guéna qu’Alain Plantey estime que de Gaulle a été profondément
irrité par la création de la Fédération du Mali, fédération dont la vocation
indépendantiste ne faisait guère de doute. Le premier [Yves Guéna] fait part de
«l’agacement» du Général et insiste sur les réticences de Félix Houphouët-Boigny… Le
second [Alain Plantey] fait état de la demande «subite» d’indépendance de
Madagascar, de la création de la Fédération du Mali et du mécontentement du
Général: «il n’était pas du tout content de l’affaire du Mali». Jean Foyer, pour sa
part, estime que «le général de Gaulle aurait souhaité qu’elle [la Communauté] durât
un peu plus longtemps qu’elle n’a duré…». Le réalisme habituel du général de Gaulle
le conduira «à faire contre mauvaise fortune, bon coeur». [Voir: De Gaulle et la
décolonisation de l’Afrique subsaharienne. Fondation Charles de Gaulle].

A la lumière de ces révélations faites par les principaux exécutants de la politique africaine de
la France sous les magistères du général de Gaulle et de Georges Pompidou, on comprend
mieux à quel point l’action du président Modibo Kéïta pour créer la première Fédération de
l’Afrique postcoloniale relevait d’une prouesse herculéenne! [Extraits de: Cheick Oumar
Diarrah: Modibo Kéïta, une Vie pour l’indépendance du Mali et l’Unité de l’Afrique.
Ouvrage en préparation].
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