À l’épreuve de la crise sécuritaire, certains citoyens paraissent dépourvus. Les fleurs bleues s’émeuvent. Les blasés attendent. Les plus audacieux s’expriment. Mais, au fond, l’enjeu majeur pour nous tous est d’avoir du sang-froid pour sortir des crises permanentes. Comprenons-nous, loin des bla-bla sur les réseaux sociaux, nos débats et nos prises de position devraient structurer et enchanter des lendemains sécuritaires meilleurs.
La sécurité, un régime sur le fil
Certes, les tensions autour de l’avant-projet constitutionnel concourent à un climat anxieux. Elles nous divisent. Certes, le retrait inattendu des forces britanniques du Mali tombe comme un couperet. La Minusma se fragilise. Certes, la détention des 46 soldats ivoiriens depuis le 19 juillet 2022 par Bamako empoisonne nos relations diplomatiques. Elle génère la nervosité et la solitude. Certes, la guerre en Ukraine exacerbe les tensions géopolitiques entre l’Est et l’Ouest. Certains se sentent moins que rien. Quelle humanité ! Certes, l’annonce par Paris, le 16 novembre dernier, de la suspension de l’aide publique au développement ravive les tensions entre exécutifs français et malien. Elle était envisageable. Mais un cap est franchi. Certes, l’interdiction par Bamako, le 21 novembre 2022, de « […] toutes les activités menées par les ONG opérant au Mali sur financement […] de la France » trouble la planète des Organisations non gouvernementales. Cependant, tout ceci pèse bien peu à côté d’un phénomène grave et dévastateur : l’insécurité. Elle cabosse les stratégies de contreterrorisme à un tel niveau que les régimes sont constamment sur le fil.
Incompréhension, risque d’abandon des populations
Avant de poursuivre sur la dégradation sécuritaire, un mot sur l’emballement des tensions entre Bamako et Paris. A posteriori, ce ne sont pas les exécutifs français et malien les premiers impactés de la nouvelle fâcherie entre Paris et Bamako. Ce n’est pas non plus le citoyen français lambda, plus préoccupé par l’impact de l’inflation sur son pouvoir d’achat que par le travail d’ONG de solidarité et de développement, loin de ses préoccupations premières. Cela ne signifie pas qu’une telle décision n’a pas de portée symbolique sur l’image de la France et du Mali dans le monde. Mais, en toute objectivité, les premiers acteurs touchés, ce sont les bénéficiaires maliens et les philanthropes français des 88 associations et ONG en activité sur le sol malien. D’ailleurs, un des impacts immédiats de leur interdiction, si elle est mise en œuvre, c’est la situation de milliers de Maliens, salariés d’ONG et bénéficiaires des projets éducatif, sanitaire, agricole, hydraulique, etc. L’impact est autant économique qu’humanitaire. L’incompréhension se double du choc de l’abandon des populations des territoires sous emprise narcoterroriste. Aujourd’hui, nous devons cesser de nous crépir le chignon alors que le narcoterrorisme déborde du Nord et du Centre du pays. Donc, le bon sens appelle à un dialogue, ni thérapeutique ni psychologique comme avec les ANR, mais digeste avec l’ensemble des ONG pour remettre du sens dans leurs interventions, en lien avec le défi sécuritaire. Souvenons-nous que de tout temps, sur le continent, les crises sécuritaires, et dans une certaine mesure de gouvernance, emportent les régimes.
Les populations, prises à la gorge dans le Liptako
Le 23 mars 2012 à Bamako, à quelques mois de la fin de son 2eme et dernier mandat, le Président Amadou Toumani Touré (ATT) est chassé du pouvoir par le capitaine Amadou Haya Sanogo. Motif : le borderline sécuritaire au Nord du pays. Mais, en vérité, c’était plutôt l’occasion pour les putschistes de rebattre les cartes. Le 18 août 2020, à la suite des manifestations du M5-RFP, le Président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) est déposé par le colonel Assimi Goïta à trois ans et demi de la fin de son 2eme et dernier mandant. La cause : les Maliens reprochaient à IBK de mal gérer le pays. Mais, au fond, le régime d’IBK a été emporté par son incapacité à enrayer la crise sécuritaire. Même scénario chez nos voisins immédiats.
Le Président, Roch Marc Christian Kaboré, est aussi balayé le 24 janvier 2022 par le putsch du colonel Paul Henri Sandaogo alors qu’il vient à peine de commencer son 2eme quinquennat. Lequel Sandaogo a été forcé à l’exil à Accra depuis septembre 2022 par le capitaine Ibrahim Traoré, le désormais Président de la transition burkinabé. On peut reproduire à l’infini les exemples. Mais, le constat est là : aucun régime, fort soit-il, ne résiste à l’insécurité, angle mort de la gouvernance. Les communications pour donner un coup de balai et se protéger ne suffisent pas. Réveillons-nous, les populations sont prises à la gorge dans le Liptako. La barbarie et le dégoût jaillissent là où s’installe la terreur. A Bamako, à Ouagadougou, nous devons nous rendre compte qu’il y a urgence à agir.
Avoir la qualité et l’intelligence du torcol
Terminons ce papier sur une note d’espoir : donner un horizon commun et possible pour la sécurité de nos sociétés. La création d’un modèle de sécurité de proximité ouvert s’impose au-delà de Niamey, Bamako ou Ouagadougou. Tentons d’avoir la qualité et l’intelligence du torcol, cet oiseau qui s’étire le cou pour passer des messages lorsqu’il est en danger. Comme le torcol, nous devons donc sans cesse œuvrer à un renouvellement des dispositifs sécuritaires grâce à notre capacité à nous réinventer dans la profondeur même de notre être. Ne nous figeons pas. Ne perdons pas le sens du pays. Dernier mot : réfléchissons, la dénonciation des hommes politiques ne devra pas conduire en aucun cas à leur marginalisation, car la société en a besoin pour construire un monde propre et transparent. Mais encore faudra-t-il en amorcer les chantiers ?