Mandela savait amener ses compatriotes les uns vers les autres
L’exceptionnel s’incarne parfois dans les détails les plus inattendus. Quel président de la République autre que lui aurait-il osé s’afficher dans le maillot de son équipe nationale de football ou de rugby sans avoir l’air vaguement déplacé et indiscutablement déguisé ? Quel chef de l’Etat autre que lui se serait-il risqué à accompagner la danse de la victoire lancée depuis les tribunes par les supporters sans aussitôt encourir le reproche de la démagogie, ou pire encore l’accusation de manque de respect envers sa propre fonction ? Nelson Mandela possédait une sorte de grâce naturelle et une élégance innée qui lui permettaient de s’aventurer dans les actes les plus improbables en évitant le double piège du ridicule et du populisme.
A la Coupe du monde de rugby de 1995 comme à la Coupe d’Afrique des nations (CAN) de football de 1996, il réussissait sans se forcer à illuminer la fête par une présence chaleureuse et un sourire contagieux. L’Afrique du sud n’était le favori d’aucune de ces compétitions, mais la présence de Madiba en sublimant les siens a conduit chaque fois ces derniers à la victoire sans pourtant que les adversaires du pays hôte ne songent à crier au traitement préférentiel. Tout au plus ceux-ci pouvaient-ils regretter de n’avoir pas un supporter aussi prestigieux et un porte-bonheur aussi imparable. Son charisme très particulier, Nelson Mandela en usa une dernière fois pour donner un discret, mais certainement décisif coup de pouce à la candidature de son pays pour l’organisation de la Coupe du monde 2010.
Si nous évoquons des épisodes qui pourraient sembler secondaires dans l’immense œuvre que fut la sienne, c’est pour souligner l’incomparable capacité qu’avait Madiba de capter et de capitaliser tout ce qui pouvait rehausser le prestige de son pays et surtout fédérer un peu plus les différentes composantes de la nation arc-en-ciel. Il avait poussé les Noirs africains à supporter les Springboks (surnom de la sélection nationale de rugby) porte-étendards du sport favori de la population blanche et qui ne comptaient dans leurs rangs qu’un joueur de couleur. L’exercice fut si réussi qu’un journal – le Sowetan en l’occurrence – proposa un surnom africain pour la sélection, Amobokoboko. Surnom qui se popularisa dans le public noir et bétonnera l’adhésion de celui-ci au parcours victorieux des rugbymen.
WELTMEISTERSCHAFT, FUSSBALL-WM, BEWERBUNG, VERGABELe même phénomène d’identification, mais dans la direction inverse (des Noirs vers les Blancs) s’est produit en faveur des Bafana-Bafana, un an plus tard à la CAN 1996. Il faut certainement rappeler que la sélection de football était coachée par un entraineur blanc, s’était donné un capitaine blanc et comportait notamment un défenseur blanc, Mark Fish, devenu par ses chevauchées spectaculaires l’un des joueurs favoris du public.
Une journaliste sud-africaine, Marie Corrigall, a plus tard écrit que Nelson Mandela avait réussi en utilisant deux événements sportifs majeurs à susciter le rapprochement de deux communautés qui se regardaient avec suspicion et les avait fait communier dans un élan de nationalisme et d’unité. Mais, a-t-elle regretté, cet élan ne s’est plus retrouvé avec ses successeurs. Sans doute parce qu’aucun de ceux-ci ne disposait de l’extraordinaire aptitude de l’ancien président sud-africain à créer une relation humaine de qualité avec ceux qu’il approchait. Cette empathie, il l’utilisait pour obliger tout en douceur ses interlocuteurs à aller à leur tour vers les autres. Avec la conviction qu’une nation, surtout lorsqu’elle est arc-en-ciel, se renforce d’abord par l’acceptation des différences.