Le Mouvement a échoué à blinder ses alliances et à s’approprier du leadership des groupes armés. Il a aussi agacé la médiation .
C’est finalement hier qu’ont débuté les négociations entre les groupes armés (Coordination et Plateforme) et le gouvernement malien. Une semaine s‘est donc écoulée entre la séquence 1 (audition des sociétés civiles invitées par les différentes parties) et cette présente séquence du processus d’Alger. Ce laps de temps a été partiellement mis à profit par la délégation gouvernementale pour faire la synthèse des questions soulevées par les sociétés civiles et pour peaufiner autant son argumentaire que son approche des négociations en fonction des informations délivrées lors de l’exercice. Ceci noté, il faut reconnaître que les derniers jours d’inactivité se sont avérés plutôt pesants à vivre pour tous ceux qui souhaitaient entrer le plus tôt possible dans le vif de la discussion sur les points délicats.
La raison de ce différé dans l’ouverture des discussions incombe essentiellement au MNLA. Ainsi ce que cela avait été dit dans notre précédente correspondance, le Mouvement avait insisté pour que les négociations débutent par la discussion des questions politiques et institutionnelles. Questions dont la résolution conditionnerait, selon lui, les réponses qui seraient apportées aux thématiques traitées dans les trois autres groupes (Défense et sécurité, Développement économique et social, Justice, réconciliation et questions humanitaires). Devant le refus de la délégation gouvernementale et de la médiation d’accéder à cette méthodologie, le MNLA avait mis en avant l’absence à Alger de ses experts dans le domaine « Défense et sécurité » pour remettre à nouveau en question le démarrage concomitant des négociations en groupes thématiques. La délégation gouvernementale avait alors proposé un décalage de 24 heures des pourparlers, le temps que le Mouvement récupère toutes ses expertises. C’est ce délai de grâce que le groupe armé a étiré aussi longtemps qu’il a pu, tout en glosant dans les couloirs sur l’impréparation de l’équipe gouvernementale.
Au conditionnel. Les raisons de cette manœuvre dilatoire étaient assez faciles à comprendre. A travers la société civile qu’il avait invitée, le Mouvement avait, lors des derniers jours des auditions, considérablement durci le ton puisque ses porte-paroles officieux étaient allés jusqu’à remettre en cause les acquis de l’accord préliminaire de Ouagadougou et de la Feuille de route du 24 juillet 2014. La demande de partition d’avec le Mali formulée dans le document remis à la médiation par la société civile invitée par la Coordination permettait au MNLA de se prétendre acculé par une base supposée plus radicale que la direction politique. Pendant toute la semaine dernière donc, les émissaires du Mouvement ont travaillé au corps les délégués des autres groupes armés pour que ceux-ci adhèrent à la présentation d’une revendication radicale.
En apparence, la manœuvre avait payé puisqu’à l’exception de la Coordination des mouvements et fronts patriotiques et de résistance (CMFPR), les groupes armés se seraient accordés vendredi soir sur une déclaration commune demandant l’instauration d’un régime fédéral au Mali. Le conditionnel était cependant largement de mise, car l’information sur le supposé accord avait été donnée par le seul MNLA. Lequel, fidèle à sa tactique habituelle, avait ensuite fait largement « fuiter » l’information au niveau des médias. Mais les mieux renseignés des observateurs avaient presqu’aussitôt appris que le MAA tendance modérée avait réfuté la position qu’on lui avait prêtée et que le HCUA n’était guère disposé à laisser le Mouvement de Bilal Ag Chérif accaparer le leadership de la nouvelle coalition. Pour les familiers du fonctionnement et des agendas des différents groupes armés, il ne faisait aucun doute que les prétendus partisans de la fédération ne constituaient pas un bloc monolithique. Pour eux, seule la frange intransigeante du MNLA s’accrocherait certainement avec obstination à la revendication maximaliste.
La pertinence de cette analyse s’est confirmée de manière spectaculaire hier à la reprise des travaux. La délégation du gouvernement, à qui les groupes armés avaient cédé, par « respect des convenances », la primauté de la prise de parole, a réaffirmé par la voix du ministre Ousmane Sy, président du groupe thématique malien « Questions politiques et institutionnelles », la volonté de notre pays « d’arriver à un accord acceptable par toutes les parties, privilégiant l’intérêt national, favorisant la réconciliation et rétablissant la cohésion entre toutes les filles et tous les fils du pays ». Il a également souligné la disponibilité du Mali « à envisager des solutions franches, sincères, novatrices et porteuses d’effets positifs pérennes ».
A la suite du ministre, Ambery Ag Rhissa du MNLA a pris la parole au nom de ce qu’il a désigné comme « les cinq Mouvement de la mouvance azawadienne » pour demander implicitement l’exclusion de la CMFPR des discussions, au prétexte que ce Mouvement « ne se trouve pas en belligérance avec le Mali ». Cette demande a été rejetée sans ambigüité par le président algérien de l’atelier thématique qui a rappelé que le groupe armé sédentaire figurait parmi les parties identifiées par la Feuille de route et qu’il n’était donc pas question « de remettre en cause en septembre ce qui avait été acquis en juillet ». Mais le vrai coup de théâtre était encore à venir.
LA PRISE DE DISTANCE.
Le leader du MAA tendance modérée (qui selon certaines informations enregistre de plus en plus de ralliements) est intervenu à son tour avec beaucoup de placidité pour souligner que son groupe appartenait toujours à la Plateforme (qui inclut aussi la CMFPR et la Coalition du Peuple de l’Azawad) et qu’un rapprochement avec la Coordination avait été effectivement envisagé. Mais cela l’avait été en août dernier lors de la rencontre des groupes armés à Ouagadougou et au cours d’un entretien avec le leader du HCUA, Aghlabass Ag Intallah. C’était donc avec ce dernier que les modalités de la formation d’une coalition unitaire des groupes armés devraient être arrêtées. Entretemps, la Plateforme entendait se renforcer par l’adoption en son sein d’un Code de conduite et requérait de la médiation une suspension des travaux pour le reste de la journée afin de procéder à cet ajustement interne et de consulter son interlocuteur du HCUA.
Cette prise de position (ou plus exactement cette prise de distance) fut ressentie comme une douche froide par le MNLA qui ne s’attendait pas à être ainsi désavoué publiquement et assez sèchement. Le Mouvement demanda aussitôt une suspension de séance, mais quitta, en désordre et en se fractionnant en deux groupes, la salle des travaux sans attendre l’accord du président de la médiation. Ce dernier, ignorant délibérément la sortie de la délégation du MNLA, donna la parole à Me Toureh qui prit bien soin de préciser (sans être démenti par le MAA tendance modérée) qu’il intervenait au nom de la Plateforme (et non de la seule CMFPR).
Le MNLA a donc enchaîné, l’une après l’autre, deux erreurs tactiques.
La première en se posant comme l’instigateur principal d’un rapprochement des groupes armés et en essayant de s’accaparer du leadership du nouvel ensemble. La seconde en agaçant fortement toute la médiation par la discourtoisie avec laquelle il a abandonné la salle. Aussi bien le président algérien de l’atelier que Bert Koenders, le patron de la Minusma, ont rappelé avec fermeté que le temps était aux négociations, et non à la remise en cause de ce qui a été déjà balisé par la feuille de route. « Chacun doit respecter sa signature », a insisté le représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies.
La suite des négociations s’annonce donc ardue. Le MNLA tirera-t-il leçon de ses faux-pas ? La question vaut d’être posée, car il faut rappeler que le Mouvement est parti sur une position extrêmement haute, celle de l’instauration de l’indépendance sur le territoire qu’il a dénommé Azawad et qui s’étend sur les trois Régions du Nord du Mali et sur une partie de celle de Mopti. Toutes les tentatives faites par lui pour se rallier les populations aussi bien à l’intérieur du Mali que dans les camps de réfugiés reposaient sur cette assurance abondamment prodiguée de sa part. Se rabattre vers une formule plus raisonnable que le fédéralisme équivaut pour lui à effectuer un grand écart auquel ne paraît pas se résoudre pour le moment la frange radicale du Mouvement.
Quelle argumentation ferait évoluer cette frange ? Jusqu’où cette dernière irait-elle en matière de concessions ? Evalue-t-elle le risque (parce que cela peut en être un pour elle) de se retrouver isolée par sa position extrême ? Ainsi pourraient être résumées pour le moment et en pointillé quelques inconnues qui se dissiperont sans doute dans les prochains jours.
(Correspondance particulière)