Le ministre de la Sécurité ne sécurise rien mais ne bouge pas, non plus, de son poste ! Dès son accession au pouvoir, en septembre 2013, le président Ibrahim Boubacar Kéita sort SadaSamaké"des bois" (l'image vient de Sada lui-même).
Ce colonel très mal en cour sous ATT est bombardé, dans la foulée, au grade général de division, soit un saut de trois grades. On était, il est vrai, à l’ère des promotions exceptionnelles qui, il y avait peu, avaient aussi profité aux leaders de la défunte junte militaire et à leurs supplétifs de la police. Mais si l’objectif de son ascension en grade était de donner à SadaSamaké plus de poids pour mettre les corps en uniforme au service de la sécurité nationale, c’est raté.
Cambriolages
En effet, le nouveau ministre fait vite montre de son inefficacité, notamment face aux cambrioleurs de tout poil. En la matière, le seul quartier de Sébenicoro, où réside pourtant le président de la République (!), a enregistré 234 cambriolages entre janvier et février 2013. A l’époque, lors d’une enquête, un agent de police nous avait confié, sous le sceau de l’anonymat, que le 9ème arrondissement de police ne disposait que d’un véhicule de patrouille qui tombait en panne quatre jours sur sept. « Nous avons les hommes, mais pas le matériel de travail nécessaire. En cas de bataille rangée, nous ne sommes pas sûrs de venir à bout des bandits lourdement armés que la population nous décrit car nos armes sont rudimentaires », se lamentait notre interlocuteur. Ayant subi en une semaine deux cambriolages, un habitant du quartier a préféré s’exiler à Médina Coura. Le plus étonnant, c’est que les bandits ne craignaient pas d’infester un quartier où résidait le chef de l’Etat lui-même; de surcroît, à Sébénicoro se trouvent non seulement un poste de police, mais aussi un check-point mixte comptant des dizaines de gendarmes, de policiers et de douaniers. Sans doute ces porteurs d’uniforme se préoccupent-ils d’autre chose que de sécurité nationale…
Incendies multiples
SadaSamaké n’est pas seulement impuissant face aux cambrioleurs; il l’est aussi face aux incendies alors que la protection civile entre dans ses pouvoirs. Nul ne sait, à ce jour, pourquoi une très longue série d’incendies a dévasté, courant 2013 et 2014, les principaux marchés de la capitale et des résidences privées. Le 15 décembre 2013, le marché communément appelé « Artisanat », qui jouxte la Grande Mosquée de Bamako, part en fumée. Le 1er janvier 2014, l’hôtel « NiumaBelleza », en commune 3 de Bamako, est réduit en cendres. Puis c’est le tour du marché « Dossolo Traoré » de Médina Coura de subir, le 3 février 2014, la loi des flammes. Le 12 février 2014, le marché de Djicoroni-Para prend lui aussi feu. Le 5 mars 2014, le marché des colas du « Rail Da » connaît un incendie qui calcine toutes les marchandises (colas, balles de friperies, de chaussures, etc.). Le cycle funeste se poursuit avec l’incendie, dans la nuit du jeudi 20 mars 2014, du « Marché Rose », le plus grand et le plus achalandé de Bamako.
Au moment où les commerçants bamakois pleurent toutes les larmes de leur corps, une série d’incendies se déclare à Koutiala, la capitale du coton, du 7 au 31 mars 2014. Si, à Bamako, ce sont les marchés qui brûlent, à Koutiala, en revanche, ce sont les domiciles privés qui s’enflamment. Surtout dans le quartier de Sincina, à la sortie de la ville. On en récense une bonne dizaine. Selon les premiers constats, les incendies ne surviennent que quand les propriétaires se trouvent hors de leurs concessions. Au départ, on attribue les sinistres à des courts-circuits électriques mais cette piste est vite abandonnée puisque plusieurs incendies se sont déclarés dans des concessions dépourvues d’installations électriques.
Quelle est la cause véritable de ces multiples incendies qui ont frappé Bamako et Koutiala ? A quelles conclusions sont parvenus d’éventuels enquêteurs ? Quelles mesures a-t-on prises pour prévenir de nouveaux sinistres ? A-t-on dédommagé les victimes des catastrophes ? Le ministre de la Sécurité n’en pipe mot. Et aucune commission parlementaire d’enquête ne s’intéresse à la question.
Attaque chez l’ancien président Konaré
Il n’y a donc pas de lieu de s’étonner que le samedi 5 avril 2014, la résidence de l’ancien président, Alpha Oumar Konaré, soit attaquée par des hommes lourdement armés. Après avoir coupé l’électricité dans les alentours, la quinzaine d’assaillants escaladent les murs de clôture. Repoussés par la nombreuse garde affectée à l’ancien président, les bandits restent encore aujourd’hui introuvables. Les prétendues enquêtes annoncées n’ont toujours rien donné. A moins que leurs conclusions n’aient atterri dans un tiroir ministériel !
Evasion de terroristes
Incarcéré pour terrorisme, association de malfaiteurs, prise d’otages et séquestration, le célèbre terroriste Mohamed Ali Ag Wadoussene, né le 9 avril 1989 à Kidal, s’évade de la Maison d’Arrêt de Bamako à la mi-juin 2014.Il abat, dans la foulée, un garde pénitentiaire. Comment a-t-il pu se procurer une arme alors qu’il était censé incarcéré dans une cellule de haute sécurité? Comment les services de sécurité ont-ils pu se laisser surprendre par un homme qui avait organisé, le 24 novembre 2011 à Hombori, le rapt de deux Français, Serge Lazarevic et Philippe Verdon (mort en captivité) ? Une quarantaine de codétenus ne s’encombrent de ces questions: ils profitent de l’occasion pour se faire la belle. Certes, les recherches permettent de retrouver, quelques jours plus tard, Wadoussène et huit autres fugitifs; mais le constat reste accablant: le système de sécurité malien est une vraie passoire malgré la pléthore de policiers et de gendarmes qui inonde nos villes.
Tentative d’assassinat d’un général
Lundi 26 janvier 2015, le général Mohamed AbdrahamaneOuldMeydou échappe de justesse à un assassinat. Vers 18 h 30 mn, deux hommes blancs, dont l’un enturbanné, se présentent à son domicile, à KalabanCoura-Extension-Sud, communément appelé Garantiguibougou, Bamako. Installés sur leur moto, les agresseurs, attendent dans un coin de la rue. Lorsque le véhicule du général OuldMeydou s’immobilise devant le portail de la concession, le visiteur enturbanné avance vers lui, suivi de près par le conducteur de la moto. Le général ouvre la porte de son véhicule; l’homme enturbanné l’arrose à bout portant de trois balles. La première le touche à la jambe; la deuxième se loge dans la hanche; quant à la troisième balle, elle brise la vitre du véhicule car le général, dans un réflexe de défense, avait réussi à fermer la porte de la voiture après avoir pris deux balles. Plusieurs mois plus tard, aucun rapport d’enquête n’est produit par le ministre de la Sécurité, bien que l’affaire porte la marque des groupes armés du nord et qu’il s’agisse du tout premier attentat terroriste commis dans la capitale.
Attentat à la « Terrasse »
Dans la nuit du vendredi 6 mars 2015, un attentat terroriste est perpétré en plein cœur de la capitale, au restaurant « La Terrasse », faisant 5 morts, dont un Français. Si, cette fois, un des assaillants est retrouvé et tué par les forces de l’ordre, il faut sans doute imputer cet exploit aux services français et non à un quelconque rebond d’expertise des hommes de Sada.
Travers quotidiens
On aurait pu s’attendre à ce que le ministre, instruit de tant de malheureuses expériences, prenne des dispositions pour mieux former, outiller et contrôler les forces de sécurité. Il n’en est rien. A Bamako, les motocyclistes se font journellement déposséder de leurs engins par des braqueurs. Occupés à tondre les usagers de la route, notamment les véhicules de transport en commun soumis à une dîme de 1000 FCFA par jour, les policiers n’accordent aucun intérêt à l’insécurité galopante. Chacun d’eux porte en dessous de l’uniforme des vêtements civils : au moindre danger, les compères ôtent l’uniforme et se fondent dans la foule des civils qu’ils sont censés protéger. On l’a vu lors du putsch du 22 mars 2012 et lors des affrontements entre militaires « bérets rouges » et « bérets verts »: les policiers, loin de protéger la population, se sont mués en simples civils grâce à leurs habits de rechange. Tout récemment, les policiers n’ont été d’aucun secours quand les populations ont incendié la mairie.
Trafic de documents
Autre facteur d’insécurité: la facilité avec laquelle on se procure des pièces d’identité maliennes.La carte d’identité est, dans nos postes de police et de gendarmerie, délivrée au premier venu sans aucun contrôle. N’importe qui se la procure aisément, même s’il n’est pas Malien. D’où le nombre croissant de bandits retrouvés à l’étranger avec des pièces d’identité maliennes. On se rappelle le cas de ce commandant de brigade de gendarmerie qui, dans les mines d’orpaillage de Kadiolo (région de Sikasso), délivrait à tout venant des pièces d’identité moyennant 10. 000 FCFA. Pour les passeports, c’est pareil. Le leader des « Jeunes Patriotes » ivoiriens, Charles Blé Goudé, n’a-t-il pas été arrêté au Ghana en possession d’un passeport malien ? Quel agent de sécurité malien a été poursuivi pour ce crime ?
Pas de sanction
On le voit: bien que personne ne lui demande compte de ce qui se passe au nord qui représente pourtant deux tiers du territoire national, le ministre de la Sécurité n’arrive pas à sécuriser le petit tiers restant. Il est, à ce titre, l’un des plus membres les plus inefficaces du gouvernement. Mais il ne sert à rien de le dire, pas plus que les députés n’ont rien gagné à l’interpeller deux fois: fort de la confiance d’IBK, Sada est à l’abri des « hassidis » (envieux) et reste plus puissant que jamais. Sa dévise ? Ne bougeons pas d’où nous sommes ! Simple ministre de la Sécurité dans le gouvernement d’Oumar Tatam Ly (formé en septembre 2013), il est propulsé général de division puis ministre de l’Intérieur et de la Sécurité dans le gouvernement formé, le 5 avril 2014, par Moussa Mara. C’est dire qu’au plus fort de l’insécurité, le ministre renforce ses attributions en y adjoignant « l’Intérieur », c’est-à-dire l’Administration Territoriale. En janvier 2015, le général-ministre SadaSamaké se maintient dans le nouveau gouvernement dirigé par Modibo Kéita en devenant Ministre de la Sécurité et de la protection civile. Pour sécuriser et protéger qui ?
Tiékorobani et Abdoulaye Guindo