Votre journal a rencontré, au camp des parachutistes de Djikoroni, des « bérets rouges » afin de savoir leurs conditions d’existence après la chute d’ATT et l’arrestation de leur chef, le colonel Abidine Guindo. Après avoir dépassé la grande porte du camp où étaient postés des sentinelles fidèles à la junte militaire de Kati, nous avons abordé des épouses de « bérets rouges » assises dans la cour, sous un arbre.
Ces femmes disent « monter la garde » après les vagues d’arrestations opérées dans les rangs de leurs époux par les « bérets verts » du CNRDRE. Une d’elles nous confie: « Nous vivantes, aucun béret vert ne viendra plus arrêter nos maris! ». Pour notre interlocutrice, lesdits maris ont assez souffert, avec des suspensions de salaires, des enlèvements, des disparitions, des tortures et des pillages. Les épouses de « bérets rouges » se préparent à marcher à nouveau si leurs doléances ne sont pas satisfaites: libération de leurs maris détenus, éclaircissements sur le sort des disparus, paiement des arriérés de salaires et d’indemnités de leurs maris. « Les autorités nous ont demandé d’aller chercher nos vivres à Sévaré ou à Kayes. Est-ce qu’on doit aller jusqu’à Kayes ou Sévaré pour chercher un sac de riz ? », s’écrie l’une des femmes. Une autre nous fera savoir qu’un « béret rouge » a été battu, enfermé et a failli être exécuté lorsqu’il est allé récupérer un sac de riz à Sévaré. Heureusement pour lui, un de ses compagnons l’a aidé à s’évader de sa geôle.
Le comble pour nos interlocutrices, c’est que les autorités politiques (Président, chef du gouvernement, ministres, etc.) n’ont jamais daigné mettre le pied au camp de Djikoroni afin de s’imprégner de leurs conditions de vie. Seuls des leaders du Haut Conseil Islamique (notamment Mahmoud Dicko et Chérif Ousmane Madani Haidara) les ont visitées avant de leur remettre, en pleurant, 7 millions de FCFA dont 5 millions seraient venus de la poche du capitaine Amadou Sanogo, chef de la junte de Kati. Au partage de ce butin humanitaire, chaque épouse de « béret rouge » n’a reçu que 30 000 FCFA.
Les femmes nous ont conduit plus tard au carré des quelques « bérets rouges » restés au camp malgré l’adversité. Ces derniers se disent disposés à reconquérir le Nord une fois qu’on leur remettrait leur armement confisqué par la junte de Kati. Ils souhaitent l’annulation de leurs décisions d’affection, décisions qu’ils jugent anarchiques. Pour un sous-officier, les« bérets rouges » ne gardent pas de rancune et souhaitent former un front commun avec leurs autres frères d’armes (les « bérets verts ») afin de reconquérir le nord du pays. « Les bérets rouges peuvent libérer en 15 jours les 3 régions occupées par les islamistes. Si les soldats de Kati se méfient de nous, nous sommes prêts à aller affronter seuls les islamistes au nord, pourvu qu’on nous donne l’armement qu’on nous a retiré et qu’on cesse de nous persécuter! », nous déclare un officier qui ajoute qu’on ne devrait pas en vouloir aux « bérets rouges » d’avoir défendu, conformément à leur mission, la première institution du pays. « Si certains d’entre nous ont reçu des avantages d’ATT, la grande majorité est restée dans la misère. C’est une injustice que de nous traîner dans l’opprobre après le départ d’ATT! », se lamente un soldat qui nous fit visiter sa chambre où résident un lit branlant et une valise défoncée.
Les « bérets rouges », qui déplorent l’ostracisme dont ils font désormais l’objet dans l’armée, se glorifient de leur passé. Ainsi, ils rappellent avec une bonne dose de fierté qu’en 1985, lors de la guerre entre le Mali et le Burkina, à Djoulouna, ils ont fait prisonniers 16 Burkinabé qu’ils ont ramenés à Bamako. En 1990, ils ont maté les rebelles touaregs du nord, sous la férule du capitaine Chiaka Koné. Le 26 mars 1991, sous la conduite du lieutenant-colonel ATT, leur chef d’alors, ils ont mis fin au régime unipartisan du général Moussa Traoré sans effusion de sang, contribuant ainsi à l’avènement de la démocratie pluraliste dans notre pays. La même année, ils ont passé 9 mois à Tenzawatène, traquant les rebelles touaregs sans relâche. Sous Alpha Oumar Konaré, les commandos « bérets rouges » ont sillonné Tombouctou, Léré, Gossy et Hombori à la recherche des dernières poches rebelles.
En 1994, ils se sont interposés dans le violent conflit entres policiers et gardes. Lors de la révolte des 800 gendarmes radiés sous le ministre Boubacar Sada Sy, les « bérets rouges » les ont neutralisés de vive force et en ont arrêté un grand nombre. Dans l’opération, le commando Mamadou N’Diaye a perdu la vie après avoir reçu une balle et Moussa O. Cissé fut blessé.Le 23 mai 2006, deux compagnies de « bérets rouges » réagirent lorsque le camp de Kidal a été assiégé par les rebelles de l’Alliance du 23 mai dirigés par Ibrahim Ag Bahanga. Ils ont, en 72 h, libéré Kidal et y sont restés en patrouille pendant 8 mois. Affrontant la nouvelle rébellion de 2012, le régiment parachutiste a perdu, entre autres, le lieutenant Zakaria Dembélé le 30 mai 2012 et, le même jour, le caporal Dionkè Dembélé et le soldat de première classe Bouba Traoré. Nos interlocuteurs rappellent que, fidèles à leurs engagements, les commandos sont restés à Koulouba jusqu’à la chute d’ATT, lequel et sa famille furent sauvés par eux dans la nuit du 21 mars 2012: après avoir été exfiltrés de Koulouba sous le feu, ATT et les siens ont d’abord été amenés à Djikoroni avant de prendre d’autres destinations.