Tout indique que le réengagement du Canada dans les opérations de paix de l’ONU se fera au Mali, en Afrique. Ottawa procède aux dernières analyses militaires et l’annonce suivra d’ici la fin du mois de novembre.
Tout indique que le réengagement du Canada dans les opérations de paix de l’ONU se fera au Mali, en Afrique. Le gouvernement Trudeau annoncera d’ici quelques semaines à quel endroit seront déployés les Casques bleus canadiens, et plusieurs sources ont mentionné à L’actualité que la liste des destinations est maintenant très courte. Il ne reste que quatre possibilités: le Mali, le Soudan du Sud, la République démocratique du Congo et la République centrafricaine. Et de ces options, le Mali est largement en tête.
Au début octobre, le chef d’État-major de la Défense, le général Jonathan Vance, remettra au ministre de la Défense, Harit Sajjan, son analyse militaire sur la situation dans ces quatre pays et le rôle que le Canada peut y jouer. Le ministre Sajjan devra ensuite discuter des possibilités avec le ministre des Affaires étrangères, Stéphane Dion, et la ministre du Développement international et de la Francophonie, Marie-Claude Bibeau. Le cabinet Trudeau devrait trancher d’ici la fin du mois d’octobre. L’annonce pourrait être faite au début du mois de novembre ou encore lors du sommet de la Francophonie, les 26 et 27 novembre, à Madagascar, où le premier ministre Justin Trudeau est attendu.
Dans les entrailles de la machine gouvernementale, la préférence va à la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), en cours depuis avril 2013. Près de 9100 soldats, 1280 policiers et 1180 civils en provenance de 24 pays participent à l’opération qui vise à faire respecter l’accord de paix entre le gouvernement malien et les rebelles islamistes, dans le nord du pays. Des attaques sporadiques se produisent encore entre les troupes maliennes appuyées par les forces de l’ONU et les rebelles qui ont tenté de prendre le contrôle d’une région entière afin d’y installer un État islamique autonome. Depuis le début de l’opération onusienne, 86 membres de la mission ont perdu la vie.
Ottawa souhaite se réengager sous le drapeau de l’ONU dans un endroit stratégique où il peut avoir une influence. Or, le Mali est le 3e bénéficiaire de l’aide internationale du Canada, avec 152,8 millions de dollars dépensés en 2014-15. Le pays a un gouvernement stable, des infrastructures et la MINUSMA est formée de plusieurs pays alliés du Canada, comme la France, l’Allemagne, le Danemark et la Suède. De plus, le Mali est membre de la Francophonie, et les soldats canadiens, qui peuvent opérer en français, seraient un atout.
En janvier 2013, le gouvernement Harper avait fourni un avion de transport C-17 aux troupes françaises déployés dans ce pays, afin de les aider à acheminer du matériel lourd entre la capitale, Bamako, et le théâtre des combats contre les islamistes, au nord.
Le gouvernement Trudeau a envoyé une équipe de reconnaissance au Mali au début du mois de septembre, composée d’experts du ministère de la Défense, du ministère des Affaires étrangères et de la GRC, afin d’évaluer la situation sur place.
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L’ONU n’a pas demandé au Canada de fournir des fantassins qui seraient directement impliqués dans le conflit, dans le nord du pays. Elle souhaite qu’Ottawa fournisse des troupes spécialisées, notamment des ingénieurs de combat et des hélicoptères. Le Canada pourrait d’ailleurs déployer un peu moins que les 600 soldats annoncés à la fin du mois d’août. Le chiffre de 400 militaires est évoqué. «Les 600 soldats, c’est la capacité canadienne pour les missions de paix sur une année. Il n’est pas dit qu’ils seront tous déployés au même moment, au même endroit», mentionne d’ailleurs une source bien au fait des discussions au sein du gouvernement.
Même si elle fait encore théoriquement partie de la liste des quatre pays où un déploiement est possible, la mission de l’ONU en République centrafricaine semble pratiquement écartée de la course. Le pays n’est pas un bénéficiaire de l’aide au développement du Canada. Ottawa n’a pas d’ambassade sur place et la République Centrafricaine n’a pas de représentation au Canada. Les liens entre les deux pays sont très modestes et aucun allié important du Canada ne participe à la MINUSCA.
Dans le cas de l’opération de l’ONU en République démocratique du Congo, la MONUSCO, l’ONU demande au Canada de déployer des commandants, soit un petit contingent d’officiers afin d’aider sur le plan stratégique. Ottawa étudie la possibilité de répondre favorablement à la demande, tout en déployant le gros de ses troupes au Mali.
Dans le cas du Soudan du Sud, l’opération MINUSS répond à l’un des critères du Canada, celui de l’aide internationale, puisque Ottawa y a dépensé 122 millions de dollars en 2014-15. Par contre, moins d’alliés importants du Canada y contribuent, ce qui pèse dans la balance. Au sein de l’appareil militaire, on souhaite se déployer auprès de pays alliés qui partagent un équipement de pointe, ainsi que des tactiques et une philosophie militaire semblable. Une source a mentionné à L’actualité que le Soudan du Sud était «deuxième sur la liste des quatre pays» encore à l’étude.
Dans tous les scénarios, les troupes canadiennes seront déployées avec un mandat qualifié de «robuste», c’est-à-dire que les soldats auront une capacité d’intervention. Ils auront des règles d’engagement qui leur permettra d’éviter l’impuissance des missions au Rwanda et en Bosnie, dans les années 90, où les militaires n’avaient pas le droit d’intervenir pour arrêter les carnages.
Il faut dire que depuis ces désastres, l’ONU permet à ses troupes d’agir avec plus de latitude dans un contexte musclé, si nécessaire. Les Nations unies se sont tranquillement adaptées aux nouvelles missions de paix. Le mot «maintien» a d’ailleurs disparu du vocabulaire de plusieurs pays, dont le Canada. On ne parle plus de «mission de maintien de la paix», mais «d’opération de paix», ce qui sous-entend que la paix n’est pas toujours acquise et qu’elle doit parfois être imposée.
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L’ONU ne mène plus uniquement des missions où ses troupes départagent une ligne de cessez-le-feu entre deux belligérants clairement identifiés, comme ce fut le cas pendant de nombreuses années à Chypre, par exemple. Les Casques bleus doivent maintenant se déployer dans des pays instables, où les institutions sont souvent en ruines, et où les affrontements se déroulent entre deux adversaires parfois difficiles à identifier lorsqu’il s’agit de rebelles ou de groupes terroristes.
Dans plusieurs pays, l’ONU a déployé des forces spéciales, des chars d’assaut et des hélicoptères de combat pour stabiliser une région. «Aujourd’hui, les opérations de soutien à la paix sont menées à des endroits où il n’y a peut-être pas de paix à préserver, où une paix fragile est constamment à risque de sombrer dans la violence, des violences qui touchent les plus vulnérables, et particulièrement contre les femmes et les enfants», a soutenu le ministre de la Défense, Harit Sajjan, en août dernier.
Le gouvernement Trudeau a promis en campagne électorale de participer davantage aux missions de l’ONU afin d’avoir «une voix plus forte dans le monde». «Le Canada doit être engagé et être un acteur positif dans le monde dans les années à venir», a dit le premier ministre Trudeau.
Les Casques bleus ont beau avoir été inventés par le premier ministre canadien Lester B. Pearson en 1956, le Canada s’est progressivement retiré des missions onusiennes dans les années 2000. Au 31 août dernier, le Canada venait au 67e rang des pays contributeurs de troupes, avec 112 soldats et policiers sous le drapeau de l’ONU. Ottawa dépassait de peu Washington — 73e rang, 68 soldats et policiers — alors que les États-Unis ont toujours été de faibles contributeurs aux missions de paix de l’ONU.
Certains alliés du Canada font mieux, comme l’Italie — 25e, avec 1114 soldats et policiers — ou encore la France — 34e, 867 soldats et policiers.
La volonté de revenir à des missions de l’ONU plus importantes cause toutefois un peu de réticence au sein de la machine militaire, qui garde de mauvais souvenirs des anciennes missions où les soldats n’avaient pas la possibilité d’intervenir pour freiner la violence, comme au Rwanda et en Bosnie.
De plus, la plupart des généraux canadiens ont été formés auprès des officiers américains, soit dans les universités au sud de la frontière, soit dans des programmes d’échange. Or, les États-Unis sont peu présents dans les missions de l’ONU, de sorte que la proximité avec l’allié américain sera moins forte que dans des missions hors ONU, comme celle en Afghanistan ou encore la lutte contre le Groupe armé État islamique en Irak et en Syrie, ce qui agace certains hauts gradés, qui tentent de diminuer la portée des opérations de paix envisagées par le gouvernement.