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Crise sociopolitique : Le Mali, entre ébriété et sobriété
Publié le lundi 9 juillet 2012   |  Les Echos




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Depuis l’ouverture de la boîte à Pandore qu’est la rébellion dans les régions du Nord du Mali en janvier dernier et le coup d’Etat du 22 mars dont les conséquences ont révélé l’état de déconfiture dans laquelle se trouvait notre armée nationale (qui du reste est à l’image du corps social), la prise des trois capitales des régions Nord et une bonne partie de la région de Mopti par des troupes rebelles n’a pas fini de saouler les Maliens que la démolition de mausolées à Tombouctou et probablement bientôt à Gao ne finiront pas d’annoncer le tocsin de l’état de guerre dans notre pays.

De la prestation de serment du président intérimaire jusqu’à son agression dans ses bureaux au palais de Koulouba, l’ébriété n’est pas prête de s’estomper même avec des cachets de prêches, de sensibilisation, de mobilisation et de conscientisation. Les Maliens n’arrivent pas encore à comprendre qu’à l’image du corps humain, le pays est gangrené et que celui-ci est en passe de devenir la géhenne.

Notre ébriété commune nous empêche d’arrêter la course folle du « ôte-toi pour que je m’y mette » pour penser à la chose commune qu’est notre identité dans la République Mali, notre patrimoine commun. Notre course folle participe à distendre davantage les liens sociaux entre le Mali du Nord à celui du Sud en entretenant des confusions diaboliques se traduisant par la peur de l’autre et tout cela dans un contexte de crainte du lendemain : le devenir de la République du Mali en question !

Notre ébriété s’exprime davantage par le détour de la fête : fêter le départ d’ATT, fêter le retour de nombre de cadres estampillés UDPM, fêter la déchéance de certains politiques parce qu’assez visibles sur la scène politique depuis mars 1991, fêter le renouvellement des élites sans une élection et sans alternative mais au bout du fusil, fêter tout à la fois sa victoire et la défaite de l’autre parce qu’il a voulu servir l’Etat ou son pays, fêter la passion au détriment de la raison, fêter l’incivisme contre le civisme, fêter l’anarchie contre l’ordre, fêter la déchéance des pères, fêter l’ego, fêter la déraison, etc. Comment en est-on arrivé là ? Que faire pour sortir de notre état d’ébriété en optant désormais pour une sobriété libératrice ?

En interrogeant la fête et sa célébration dans notre pays, suivant ma chapelle, je dirais d’emblée que l’entreprise ne consiste pas à s’intéresser aux traditions pour tenter de les ressusciter ou de les réinventer en rapport avec l’imaginaire social du moment. Par exemple, les semaines de jeunesse, en donnant naissance aux biennales qui se meurent et que d’autres formes de sociabilité, peut-être aussi intéressantes mais différentes, remplacent, on assiste à des tentatives tous azimuts pour les réhabiliter.

Aujourd’hui, même avec l’état de guerre – même s’il n’est pas décrété – dans lequel se trouve le pays, la fête est partout. Ses signes envahissent tous les espaces de notre vie. Ne parle-t-on pas en ces jours du lancement sur une chaîne télévisuelle publique du pays (ORTM) la prochaine édition de « Maxi vacances », la projection continue des « Top étoiles », des « sumu » et des télé favelas, l’organisation de « balani show » dans les rues, etc. pour détoner sinon détourner les Maliens de prendre conscience de l’état réel de la République, ou encore de « temps » ou d’« espace festif » ou même de « fête sociale » pour désigner certaines de nos activités les plus quotidiennes et les plus banales ?

Insouciance et sans tabou

Cette abondance des fêtes et son éclatement en de multiples traits sans lien les uns avec les autres, sinon l’illusion moderne que nous vivons aujourd’hui dans une société hédoniste et sans tabou est l’aboutissement d’un long processus historique et culturel. Il y a eu, en effet, d’abord la condamnation et la répression, durant des siècles, de la plupart des fêtes populaires qui n’étaient pas soumises à un contrôle strict de l’autorité politique ou religieuse.
De plus, ces fêtes disparues ou normalisées, nous avons assisté au cours de l’histoire à leur glorification idéologique, et parfois à leur réinvention, en rapport direct avec la nostalgie que toute société entretient avec son passé et en relation avec la production de ses nouvelles valeurs de légitimité.

Si je convie les lecteurs à ce genre d’analyse, précisément c’est parce qu’il se pose la question de savoir par quels mécanismes économiques, politiques et culturels cette déification de la fête a pu se produire ; elle s’interroge sur les contenus de l’imaginaire moderne et de son rapport à la fête ; enfin, plus généralement, interroger la permanence de la fête dans notre société comme catégorie universelle de l’excès, du désordre et de la gratuité et sur les mutations, tant au niveau du contenu que des formes, que ces expressions socioculturelles accomplissent.

Une telle lecture de la fête paraît assez paradoxale en rapport avec la situation actuelle du pays qui fait que notre ébriété doit savoir raison garder pour plusieurs raisons : la situation du pays pousse davantage à l’introspection. Une introspection raisonnée dans la saisie de nos errements, de nos libéralités, de nos insouciances et autres irresponsabilités en vue de dresser un état des lieux sans fard ; une posture faite d’humilité pour panser les blessures béantes de la fracture sociale créée de la séparation des parties et des habitants du pays en vue de renouer les fils de confiance entre gouvernants et gouvernés.

L’exigence d’une citoyenneté nouvelle – instruite et cultivée de la vie et sachant préserver l’intérêt national plus que tout – qui prend de la distance avec la fatalité nouvelle pour se prendre en charge et non d’invoquer ou d’implorer Dieu. La situation qui nous arrive est le fait des hommes et non une damnation divine. Sans être exhaustif, voilà quelques éléments de réflexion : s’ils sont réappropriés, notre République est sauvée.

Le temps de la restructuration et de la restauration de l’Etat en situation de guerre ne saurait rimer avec celui de la fête, de l’ébriété mais beaucoup plus avec une posture de sobriété qui nous permettra à coup sûr de digérer nos hontes, notre mal être pour ensuite dresser fièrement notre « malianité ». Maliens : « Allah kama, tlon touma te si san yé ».

Seul le choix de la modération de nos besoins et désirs, le choix d’une sobriété libératrice et volontairement consentie, permettront de rompre avec cet ordre anthropophage appelé « l’ébriété à la malienne ». Ainsi pourrons-nous remettre l’humain et la nature au cœur de nos préoccupations, et redonner, enfin, au Mali légèreté et saveur.

Pr. Naffet Kéita
(maître de conférences à l’ULSH de Bamako)

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